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Municipales à Paris : « Une loi peut tout à fait modifier les règles avant 2026 »
Cette interview est initialement parue dans Le Point.
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Lors d’un entretien décryptant l'actuelle loi PLM et ses probables changements, le Professeur et constitutionnaliste Jean Philippe-Derosier répond aux questions de Vincent Jaouen pour Le Point, retrouvez l’intégralité de l’article en cliquant ici.
Le Point : À l'origine, pourquoi la loi PLM a-t-elle été instaurée ?
Jean-Philippe Derosier : Cette loi, décidée en 1982, visait à rapprocher les élus des électeurs dans les trois plus grandes villes de France : Paris, Marseille et Lyon. Elle s'inscrivait dans le cadre de la mise en place de statuts spécifiques pour ces villes lors de l'Acte I de la décentralisation. Ce processus avait pour objectif de renforcer les collectivités locales et de créer des arrondissements, avec deux niveaux d'élus : les élus d'arrondissement, plus proches des citoyens, et les élus de la commune, siégeant au Conseil municipal.
Comment fonctionne aujourd'hui ce système électoral à Paris, Lyon et Marseille ?
Premièrement, il faut comprendre le découpage qui existe dans ces communes. Celles-ci sont divisées en secteurs. Pour Paris et Lyon, il s'agit d'un arrondissement pour un secteur (à Paris, les arrondissements 1, 2, 3 et 4 ont été fusionnés en 2020 et représentent un secteur) tandis que pour Marseille, deux arrondissements équivalent à un secteur.
Les électeurs votent donc sur des listes qui sont présentées par secteur. Ils désignent des conseillers d'arrondissement, dont un tiers sont nommés conseillers municipaux, tandis que les deux autres tiers restent conseillers d'arrondissement. Le maire de la commune est ensuite désigné par les conseillers municipaux, ce qui signifie qu'il peut être élu même si sa liste n'a pas remporté la majorité des voix dans son secteur. Par ailleurs, dans chaque secteur, un tiers des élus siègent à la fois au conseil d'arrondissement et au Conseil municipal central, tandis que les autres se limitent au conseil d’arrondissement.
Et quels sont les changements à attendre en cas de modification de la loi ?
La réponse à cette question est difficile car nous n'avons pas encore le sens de cette réforme. La négociation est toujours en cours.
L'hypothèse sur la table serait un double scrutin qui permettrait d'aboutir à une élection directe du maire. Les électeurs voteraient deux fois : une fois pour les conseillers d'arrondissements et une autre fois pour le maire de la commune de Paris, Lyon ou Marseille.
Dans ce cas-là, j'émets d'ores et déjà une réserve sur la constitutionnalité de cette réforme car les communes de Lyon et Marseille rentrent dans ce qu'on appelle le droit commun des collectivités territoriales et de leur catégorie, les communes. Prévoir ainsi, pour ces deux villes, un statut dérogatoire ne me paraît pas conforme à la constitution.
D'ailleurs, en 1982, le Conseil constitutionnel avait déjà rendu une décision sur ce sujet lorsqu'il avait été envisagé, pour les départements et régions d'outre-mer, de mettre en place une assemblée unique. Le Conseil avait alors retenu que c'étaient des départements et des régions comme les autres, dont l'éloignement géographique pouvait certes justifier des adaptations ponctuelles, mais que cela ne pouvait pas concerner leur organisation.
Par conséquent, cette jurisprudence empêche, selon moi, de changer la loi pour élire au suffrage direct les maires de Lyon et Marseille alors même que l'ensemble des autres villes de France sont élues au suffrage indirect.
Qu'en est-il de Paris ?
Pour Paris, cela est différent puisque c'est une collectivité à statut particulier. Dès lors, un mode de désignation particulier serait constitutionnellement possible.
Quel est votre point de vue sur cette potentielle réforme ? Est-elle pertinente ?
Dans un premier temps, j'ai l'impression que cette modification est inspirée par quelques petits arrangements électoraux et de la stratégie électorale. D'une part, il y a ceux, qui ont pâti du scrutin actuel, qui veulent le changer. Et de l'autre, ceux qui en ont bénéficié veulent le préserver. En réalité, il n'est jamais sain d'avoir ce genre de motivation lorsqu'il s'agit d'une modification électorale. Il ne faut pas adapter le scrutin électoral à ses motivations politiques, mais adapter ses motivations politiques au scrutin électoral, lequel doit être dicté par des considérations démocratiques et transpartisanes.
Dans un second temps, sur le mode de scrutin lui-même, j'ai l'impression que celui actuellement en place fonctionne. Il permet d'élire, à l'instar des autres communes, un maire qui est en mesure de s'appuyer sur une majorité.
Mais avec cette potentielle réforme – qui verrait le maire élu au suffrage direct et les conseillers municipaux élus comme à l'heure actuelle –, le risque serait de se retrouver avec des maires en cohabitation avec un conseil hostile à ce dernier. Cela risque d'introduire de l'ingouvernabilité dans ces communes.
Est-il envisageable de voir ces modifications mises en place avant le scrutin municipal de 2026 ?
Dans la tradition, on ne touche pas aux règles électorales dans l'année qui précède le scrutin. Cette tradition a d'ailleurs été codifiée au Code électoral (art. L. 567-1 A) grâce à un amendement déposé par le sénateur Alain Richard, afin d'interdire toute modification.
Néanmoins, c'est une obligation législative, ce n'est pas une obligation constitutionnelle, elle ne s'impose donc pas à l'égard du législateur. Par conséquent, en théorie, une loi pourrait aller à l'encontre de cette tradition et tout à fait modifier les règles électorales avec les élections municipales de 2026.
Mots-clés: Élections municipales, Conseil constitutionnel, Collectivités territoriales, Paris, DROM, Collectivité à statut particulier