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Cumuler, mais pas n’importe quoi
Ce billet est initialement paru sous forme de tribune pour le site Acteurs publics, en décembre dernier (il est donc à replacer dans le contexte de l’époque)
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Le cumul des mandats revient dans le débat public. Rappelons qu’à ce jour, il n’est pas interdit et que la loi autorise de cumuler jusqu’à deux mandats électifs. Cependant, depuis la loi de 2014 qui en a renforcé la limitation, tout mandat parlementaire (député, sénateur, député européen) est incompatible avec un mandat exécutif local (maire, adjoint au maire, président et vice-président de département et de région). Cette limitation est prévue par la loi organique et ne s’applique pas à l’égard des membres du Gouvernement, dont les incompatibilités sont régies par la Constitution, laquelle interdit de cumuler des fonctions gouvernementales et parlementaires (contrairement à ce que permettent bon nombre de régimes parlementaires), mais permet d’exercer concomitamment les fonctions de membres du Gouvernement et de chef d’un exécutif local. Malgré tout, à quelques exceptions près, depuis 1997 et le Gouvernement de Lionel Jospin, la tradition voulait qu’un Ministre renonçât à ses fonctions de Maire ou de Président d’un département ou d’une région. Édouard Philippe et Jean Castex, parmi d’autres, l’avaient parfaitement illustré.
Cumuler une fonction gouvernementale et un mandat local est une incongruité, voire une atteinte au principe de la séparation des pouvoirs
Le nouveau Premier Ministre, François Bayrou, ravive le sujet du cumul des mandats, à double titre. D’une part, il a annoncé vouloir continuer à exercer son mandat de Maire de Pau, pendant qu’il est à Matignon et, d’autre part, il a indiqué qu’il fallait reprendre le débat sur le cumul, car « il faut réenraciner les responsabilités politiques, dans les villages, les quartiers, les villes ». Ces deux aspects appellent des réponses distinctes.
Le cumul des fonctions gouvernementales et exécutives locales est permis par notre droit et n’a pas été concernée par la réforme portée par le Président Hollande, en 2014. La raison est simple : une réforme constitutionnelle est nécessaire pour interdire un tel cumul et, si l’initiative avait bien été prise en 2013, elle n’a pas pu prospérer, faute de pouvoir réunir les conditions nécessaires à l’adoption d’une révision de la Constitution, notamment en raison du désaccord du Sénat. Pourtant, il serait grand temps qu’une telle réforme ait lieu, tant il s’agit là d’une incongruité, voire d’une atteinte au principe de la séparation des pouvoirs et elle fait l’objet de la proposition n° 64 portée au sein du GRÉCI, le Groupe de réflexion sur l’évolution de la Constitution et des institutions (65 ans de Ve République : une analyser prospective de la Constitution, LexisNexis, 2024, p. 256).
En effet, ce dernier ne pose pas tant une séparation organique ou fonctionnelle entre les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire que la mise en place de mécanismes de pouvoirs et de contrepouvoirs, destinés à établir des moyens de contrôle réciproque, conduisant à un équilibre et évitant les dérives, qui pourraient devenir tyranniques. Ces mécanismes opèrent certes entre le Parlement et le Gouvernement (et, en réalité, davantage entre la majorité et l’opposition qu’au niveau de la distinction organique), mais ils opèrent également entre le pouvoir central et les pouvoirs locaux. Ainsi, les autorités locales (maires, présidents de collectivités) sont placées sous le contrôle de légalité du préfet, lequel représente le Gouvernement au sein des collectivités territoriales (art. 72 de la Constitution), en étant soumis au pouvoir hiérarchique du Premier ministre. Dès lors, si un préfet contrôle la légalité des actes d’un maire tout en étant soumis à l’autorité du Premier ministre, mais que maire et Premier ministre sont la même personne, on est inévitablement confronté à un conflit d’intérêt manifeste, tout en remettant en cause les mécanismes destinés à assurer un équilibre par le jeu des pouvoirs et contrepouvoirs.
Par conséquent, au-delà de la seule question du temps que prend l’exercice des fonctions de chef de Gouvernement, qui rendent difficilement crédible la possibilité de se consacrer à sa mairie, c’est bien le respect des principes de la séparation des pouvoirs et de l’exemplarité démocratique qui commanderaient de renoncer à un tel cumul.
La situation est toute autre concernant le cumul à l’égard des parlementaires.
Il est incontestable que les fonctions parlementaires sont également un « job à plein temps », comme le sont les fonctions gouvernementales. Cependant, le mandat parlementaire suppose un ancrage territorial, lié à une circonscription et il est tout aussi incontestable que la réforme de 2014 a contribué à la déterritorialisation des députés, sans en être le facteur exclusif (il faut aussi y ajouter l’arrivée d’une nouvelle génération de députés, en 2017, portés par la « vague du macronisme » et peu ancrés localement, pour beaucoup d’entre eux). La figure du « député-maire » permettait ainsi de bénéficier d’un attachement et d’une identification plus forte à un territoire local, alors qu’on a pu constater et déplorer les effets de ces « députés hors-sol », peu préoccupés, voire peu concernés par les enjeux locaux.
Ce cumul revêtait par ailleurs d’autres avantages : on en compte au moins deux. D’une part, le chef d’un exécutif local bénéficie, au sein de son cabinet, de collaborateurs supplémentaires lui permettant de mieux travailler. Certes, il n’est pas question de mobiliser un collaborateur rémunéré par la commune pour des travaux exclusivement parlementaires, mais les travaux sont souvent liés : la gestion du secrétariat, de l’agenda ou la préparation de notes et de réflexions sur des enjeux locaux, qui peuvent être ensuite utilisées dans le cadre des tâches législatives, un député-maire étant aussi chargé de porter au Parlement les intérêts de la circonscription et du territoire dont il est issu. Ainsi, ce cumul permettrait de mieux travailler, à l’heure ou des moyens font cruellement défaut.
D’autre part, un tel cumul renforce l’indépendance du parlementaire vis-à-vis de son parti. Bien souvent, l’étiquette partisane, c’est-à-dire l’investiture par un ou plusieurs partis pour une élection, contribue grandement à l’identification du candidat, donc aux voix qu’il peut réunir et à sa victoire, le cas échéant. Les partis président ainsi, assez largement, à la destinée des candidats, mais aussi des élus, étant en mesure de ne pas les réinvestir si jamais ils devaient s’écarter de la ligne du parti. À l’inverse, un député implanté et identifié localement, en étant également maire ou Président d’un exécutif, devrait moins s’en soucier puisque son identification auprès des électeurs provient moins de l’étiquette partisane que du contact direct qu’il nourrit avec eux : plus un élu sera implanté et identifié localement, plus il devra son élection à lui-même et moins il le sera, plus il la devra à son parti. Si la solidarité partisane doit effectivement jouer pour conférer une cohérence à la décision démocratique, il est sain qu’un parlementaire puisse agir en pleine indépendance, sans avoir (trop) à craindre des conséquences de la part de son parti politique. Là encore, le cumul des mandats y contribuerait.
Ainsi, le rétablissement d’une certaine forme de cumul des mandats assurerait un meilleur rattachement des parlementaires au territoire dont ils sont issus et, sans doute, une meilleure prise en compte de ses enjeux, ainsi que de meilleures conditions d’exercice de leur mandat. Malgré tout, ce n’est certainement pas l’unique solution ni l’unique voie à explorer pour y aboutir. En effet, une réflexion sur le statut du parlementaire pourrait être engagée, afin d’apprécier comment il pourrait être mieux associé à la vie des collectivités dont il est issu. Parmi les pistes à explorer, les députés et sénateurs pourraient être membres de droit, sans voix délibérative, des conseils des collectivités territoriales où ils sont élus. Ils pourraient également être associés à toutes les instances locales déconcentrées, animées par le préfet, pour lequel ils seraient alors un interlocuteur privilégié. Enfin, face à l’accumulation des tâches, à la boulimie législative et à l’exigence d’un contrôle parlementaire approfondi et exemplaire, le renforcement des moyens, humains et financiers, devient un impératif.
En définitive, il est nécessaire d’avoir un débat sur le cumul, mais non pour cumuler n’importe quoi.Mots-clés: Sénat, Article 20, Article 21, Article 23, Article 72, Gouvernement, Député, Parlement, Premier ministre, Sénateur, Maire, Séparation des pouvoirs, Préfet, Cumul des mandats, Député européen