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La Constitution, toute la Constitution, rien que la Constitution

Ce billet est initialement paru sous forme de tribune pour Le Monde 

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« La Constitution, toute la Constitution, rien que la Constitution » : tels étaient les mots de François Mitterrand, en 1986, à la veille des élections législatives qui devaient amorcer la première cohabitation. Près de quarante ans plus tard, alors que le pays paraît plonger depuis dimanche 7 juillet dans une période de grande incertitude, il est nécessaire de s’appuyer sur notre texte fondamental pour apporter les clarifications nécessaires.

Au soir du second tour, le Premier ministre a indiqué que, « fidèle à la tradition républicaine, je remettrai demain matin ma démission au Président de la République ». En effet, au lendemain d’élections nationales, il est de tradition que le Premier ministre procède ainsi, afin que le Président de la République puisse tirer les conséquences de ces élections. Cependant, si « la Constitution » ne l’impose pas formellement, une lecture de « toute la Constitution » permet bien de comprendre qu’il ne s’agit pas là d’une simple tradition, mais d’une application de principes constitutionnels.

 

Refuser la démission du Premier ministre traduit un refus, voire un déni du résultat des élections législatives

Selon l’article 3 de la Constitution, « la souveraineté nationale appartient au peuple, qui l’exerce par ses représentants ». Ainsi, dans notre République démocratique, le premier décideur est le peuple, qui s’exprime lors d’élections permettant de désigner ses représentants. Lors des élections législatives des 30 juin et 7 juillet, le peuple a d’abord décidé qu’il ne souhaitait pas d’un Gouvernement d’extrême droite, en plaçant cette dernière en troisième position et loin d’une majorité qui lui permettrait de gouverner. Il a ensuite décidé de retirer le pouvoir à la majorité sortante, réduisant de près de quatre-vingt-dix sièges ses effectifs et la plaçant en deuxième position.

De surcroît, le caractère exclusivement parlementaire de notre régime résulte de l’article 20 de la Constitution, qui prévoit que le Gouvernement est politiquement responsable devant le Parlement. Combiné à l’article 49, il résulte de ces dispositions que le Gouvernement a besoin d’une majorité au sein de l’Assemblée nationale pour agir. Or le Gouvernement de Gabriel Attal, soutenu par la coalition « Ensemble » ne dispose ni d’une majorité absolue, ni d’une majorité relative. Là encore, si « la Constitution » ne lui impose pas formellement de démissionner tant qu’une motion de censure n’a pas été votée (ou une déclaration de politique générale désapprouvée), le sens démocratique et parlementaire de « toute la Constitution » commande de le faire. C’est ce qui explique la démarche de Gabriel Attal.

Le Président de la République a décidé de refuser cette démission. L’article 8 de la Constitution dispose que ce dernier « met fin [aux] fonctions [du Premier ministre] sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement ». On sait qu’habituellement l’usage du présent de l’indicatif dans des formules normatives vaut impératif. Une autre interprétation a toutefois été retenue (comme ce fut déjà le cas par le passé) et, surtout, acceptée par le Premier ministre qui n’a pas davantage insisté – car on ne saurait maintenir quelqu’un à son poste contre son gré –, « afin d’assurer la stabilité du pays ».

L’article 5 de la Constitution prévoit en effet que le Président de la République est chargé d’assurer « la continuité de l’État » et l’on pourrait ainsi imaginer que cette dernière obligation constitutionnelle justifie le refus de la démission. Ce serait cependant conférer à une notion juridique (« la continuité de l’État ») un sens différent et plus large (« la stabilité du pays »), qu’elle n’a pas. En effet, un Gouvernement démissionnaire est chargé de « gérer les affaires courantes », autre notion juridiquement reconnue par le juge, jusqu’à la prise de fonction du nouveau Gouvernement. Cette gestion des « affaires courantes » permet précisément d’assurer « la continuité de l’État », car elle permet de prendre les décisions de gestion administrative quotidienne, qui se situent dans le prolongement de décisions prises précédemment (simple application) et les décisions urgentes, qui sont inévitables et pour lesquelles il n’est pas possible d’attendre la désignation du nouveau Gouvernement de plein exercice.

Ce même article 5 charge également le Président d’assurer, « par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ». C’est donc sans doute davantage de cette dernière disposition que l’on peut identifier l’interprétation retenue par Emmanuel Macron et acceptée par Gabriel Attal. Malgré tout, ce « fonctionnement régulier des pouvoirs publics » suppose, avant tout, de tenir compte de ce que souhaite le premier décideur du pays, c’est-à-dire le peuple. C’est pourquoi, au nom des missions que « la Constitution » lui confie et en raison de ce qui ressort de « toute la Constitution », le Président de la République devait accepter cette démission, puis inviter les différentes forces politiques à se concerter pour identifier, d’abord, la personnalité en mesure de composer un Gouvernement et, ensuite, les membres qui rejoindraient ce dernier, afin de refléter la coalition qui se dégagerait. La logique démocratique et parlementaire de la Constitution voudrait que ce soit le bloc majoritaire qui se livre à cet exercice en premier, mais le rôle « d’arbitrage » du Président peut et, en l’espèce, doit le conduire à encourager un élargissement des blocs car aucun ne dispose, à lui seul, d’une majorité suffisante pour gouverner.

Ce faisant, le Président de la République est malgré tout supposer se cantonner à n’appliquer « rien que la Constitution », c’est-à-dire à n’assumer qu’une mission d’arbitre, non de capitaine. Il peut endosser un tel rôle lorsque le peuple le lui a clairement confié, après une élection présidentielle, mais non lorsque ce même peuple le lui a clairement retiré, après des élections législatives que le Président a perdues. Il ne lui appartient donc pas de définir « l’arc » dans lequel doit s’inscrire le futur Gouvernement.

Par conséquent, refuser la démission du Premier ministre traduit un refus, voire un déni du résultat des élections législatives, que le Président de la République a pourtant convoqué afin de redonner la parole « au peuple souverain », afin qu’il exprime son « choix de notre avenir parlementaire par le vote », selon sa déclaration du 9 juin dernier. Par ailleurs, en cherchant à jouer un rôle actif dans la composition du futur Gouvernement et la création d’une nouvelle coalition, il exerce une mission qui va au-delà de « la Constitution, toute la Constitution, rien que la Constitution », à laquelle il se doit de revenir car, l’article 5, le charge également de veiller sur son respect.

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