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Ces quelques lignes qui pourraient transformer le régime
Libres propos paru au JCP-A, 2013, 47 (du 21 janvier 2013)
La révolution, c’est maintenant. Le rapport remis par Lionel Jospin, au nom de la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, au président de la République, le 9 novembre 2012, prône Un renouveau démocratique, à partir de trente-cinq propositions. Attendues, pour la plupart, elles ne sauraient surprendre. Toutefois, au moins deux d’entre elles méritent une attention particulière car elles pourraient remettre en cause la logique de notre régime : le parrainage citoyen et la politisation de la responsabilité du président de la République. La proposition d’octroyer aux citoyens le parrainage des candidats à l’élection présidentielle ne peut que soulever les plus vives réserves. Au régime actuel des 500 signatures de certains élus, issus d’au moins 30 départements ou collectivités d’outre-mer, la Commission propose de substituer une présentation par 150 000 citoyens, inscrits sur les listes électorales (soit 0,33 % des électeurs) et issus d’au moins 50 départements ou collectivités d’outre-mer. On ajoutera que l’argument du renforcement de la démocratie, généralement avancé, est purement démagogique : loin de la renforcer (on ne fait pas une décision démocratique avec 0,33 % des électeurs), ce système la dénature en renforçant les lobbies.
Instaurer un tel parrainage citoyen revient surtout à attribuer aux citoyens une mission qui n’est pas la leur : leur rôle est d’élire le président et non de choisir les personnes pour lesquelles ils vont voter. Aujourd’hui, c’est l’ancrage politique des personnalités qui leur permet d’accéder au rang de candidat : pour être candidat, il faut ainsi une assise et un engagement politique. Demain, à travers un tel système, il faudra un ancrage populaire, une réelle popularité ou, pis, un réel degré de populisme pour être candidat : l’élection prendra alors une grave connotation plébiscitaire. Sa logique, qui donne à notre régime parlementaire un caractère particulier emprunt d’efficacité, pourrait en ressortir transformée. On ne peut donc que se réjouir du renoncement à une telle réforme, visiblement annoncé par François Hollande lors de ses vœux au Conseil constitutionnel, le 7 janvier dernier : « S’agissant de la proposition relative au parrainage citoyen pour l’élection présidentielle, la concertation à laquelle j’ai procédé m’a finalement convaincu de la difficulté de sa mise en œuvre ».
La proposition de politiser la responsabilité du président pourrait également transformer le régime. Elle marque d’abord un net retour en arrière : là où Nicolas Sarkozy suggérait de moderniser en mettant fin à ce qui restait du « cérémonial chinois » imaginé par la loi De Broglie du 13 mars 1873, en permettant au président de discourir devant le Parlement, François Hollande revient à la loi Rivet du 31 août 1871, qui avait confié la présidence de la République à Adolphe Thiers tout en le rendant politiquement responsable devant l’Assemblée. En effet, la Commission Jospin propose de réformer le statut du président de la République, en mettant fin à son immunité et en clarifiant la nature de sa responsabilité, à travers l’affirmation de son caractère politique et non juridictionnel.
Or, appliquant à la République le principe fondamental selon lequel « le Roi ne peut mal faire », le président bénéficie traditionnellement d’un principe d’irresponsabilité politique. C’est le pendant du principe de neutralité et de continuité de l’État qu’incarne le chef de l’État, lequel ne peut donc pas être démis de ses fonctions pour des raisons politiques. Seule existe une responsabilité pénale très restrictive, qui se limitait, jusqu’en 2007 – et cela depuis la IIe République –, à la haute trahison et qui concerne, depuis la révision constitutionnelle du 23 février 2007, le « cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ». Qu’est-ce qu’un tel cas ? Poser une telle question participe d’une curiosité naturelle, mais excessive en l’espèce car la Constitution ne définit pas cette notion et ce sera donc aux parlementaires d’en décider, le moment venu.
On pourrait ainsi considérer que la révision de 2007 a, d’ores et déjà, introduit une responsabilité politique puisque, contrôlée de bout en bout par les parlementaires, elle échappe à toute instance juridictionnelle : c’est la position que défend la Commission. Néanmoins, plusieurs arguments s’y opposent. D’une part, l’argument de la commission, selon lequel, le Parlement étant à l’origine de la procédure, la responsabilité devient de nature politique ne tient pas puisque, historiquement, les membres du Gouvernement étaient individuellement responsables, pénalement, devant le parlement. D’autre part, la destitution, d’origine et d’inspiration américaine, y est une procédure mise en œuvre dans le cadre d’une responsabilité pénale (impeachment). En outre, le projet de loi organique instituait une procédure s’apparentant à une procédure juridictionnelle et pénale, au cours de laquelle le président pouvait être représenté (par un avocat) et une commission, chargée de recueillir toute information nécessaire (phase d’instruction), disposait des prérogatives reconnues aux commissions d’enquête se rapprochant, on le sait, des pouvoirs d’investigation en matière pénale. Enfin, lors de cette procédure, le Parlement est constitué en Haute Cour, ce qui en marque l’aspect juridictionnel. C’est d’ailleurs à ce niveau que la Commission Jospin propose de transformer la nature de la responsabilité en ne réunissant plus le Parlement en Haute Cour mais en Congrès.
Tout concourt, ainsi, à confirmer que la responsabilité actuellement envisagée par la Constitution est de nature pénale. La logique y est fondamentalement différente de la responsabilité politique. La première aboutit à une forme de jugement (une condamnation et une peine : en l’espèce, la fin prématurée du mandat et, le cas échéant, d’autres poursuites), là où la seconde aboutit à un renvoi ; la première concerne des faits pénalement répréhensibles (incompatibles avec l’exercice du mandat), là où la seconde ne concerne que des faits politiquement répréhensibles (qui ne s’inscrivent pas dans la politique soutenue par le Parlement). Cela pourrait sembler n’être que des mots, il s’agit bien plutôt d’une logique et d’un argumentaire spécifique à chacun des types de responsabilités : un gouvernement politiquement censuré n’est pas un Gouvernement pénalement condamné.
Transformer la responsabilité du président de la République en responsabilité politique c’est donc en changer la logique. Mais c’est également changer la logique de sa mission : il devient politiquement engagé. S’il l’est effectivement lors de l’élection, s’il le demeure partiellement pendant son mandat, s’il le redevient lorsqu’il se représente, il est avant tout, constitutionnellement, en cours de mandat, une institution neutre et arbitrale, à même, en toute circonstance, de résoudre les crises. Le subordonner à une responsabilité politique revient à mettre un terme à ce statut particulier, de neutralité et d’indépendance dont doit bénéficier un chef de l’État et dont bénéficie, quoi qu’on en dise, le président de la Ve République. Après une telle réforme, dans l’hypothèse, nullement impossible, d’un Parlement opposé au président de la République, sa destitution politique est parfaitement envisageable. En plus de la cohabitation, on peut imaginer le cas d’un président opposé au Sénat et ne bénéficiant que d’une majorité relative à l’Assemblée nationale : cette situation justifierait-elle qu’il soit destitué ? Adolphe Thiers, le 24 mai 1873 et Charles de Gaulle (alors « président du Gouvernement » mais sans président de la République), le 20 janvier 1946 ont été renvoyés par la chambre parce qu’ils ne lui convenaient plus, politiquement.
Cette proposition viendrait ainsi offrir un argument supplémentaire à ceux qui défendent la nature hybride de notre régime, alors qu’il est et demeure fondamentalement parlementaire (un président ayant nécessairement besoin de l’appui de l’Assemblée nationale pour exercer le pouvoir), en mettant fin à un chef de l’État incarnant, par son arbitrage, une (certaine) neutralité. Cela d’autant plus que l’institutionnalisation de sa responsabilité politique n’est pas accompagnée de la politisation institutionnelle de sa mission, en raison de l’absence de révision de l’article 5 de la Constitution attribuant au président de la République la mission de définir la politique de la nation, ainsi que l’avait proposé le comité Balladur.