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Borne bis

 

Il y a un mois et demi, avec la nomination d’Elisabeth Borne comme Première Ministre, Emmanuel Macron décidait de changer pour ne pas changer. Aujourd’hui, avec le large remaniement auquel il a été procédé, il ne change pas pour changer.

En effet, formellement, le Gouvernement n’a pas démissionné et seul un remaniement a eu lieu. C’est un détail qui a juridiquement son importance et on y reviendra. Mais politiquement, nous avons bien un nouveau Gouvernement Borne, point qualifiable de « Borne II », mais au moins de « Borne bis », tant les changements sont importants et nombreux.

Cinq Ministres ou Secrétaires d’État sont partis, dont trois pour cause de défaite aux élections législatives (Justine Bénin, Brigitte Bourguignon et Amélie de Montchalin) et une pour élection à la présidence de l’Assemblée nationale (Yaël Braun-Pivet, même si son départ a été anticipé de quelques jours). 

Ces nouvelles nominations soulèvent un problème politique, passager mais bien réel : la majorité est minoritaire

Le cinquième n’est autre que Damien Abad, dont on savait les jours comptés depuis les plaintes déposées contre lui. Si ce départ n’est guère étonnant, on s’étonne bien davantage, en revanche, de la différence de traitement entre lui et ses homologues de l’Intérieur ou de la Justice, Darmanin ayant été placé sous le statut de témoin assisté tandis que Dupond-Moretti est mis en examen devant la Cour de Justice de la République. Leur situation est d’autant plus problématique que l’un comme l’autre sont les ministres de tutelle des services chargés d’enquêter sur leur cas ou de les juger.

Ces cinq départs laissent place à vingt nouveaux arrivants, pour un Gouvernement qui compte désormais quarante-deux membres et non plus vingt-huit, dont seize Ministres, quinze Ministres délégués et dix Secrétaires d’État. Ce chiffre de quarante-deux place le Gouvernement Borne bis dans la moyenne haute des effectifs, loin d’un Gouvernement « resserré », ce qui n’est ni surprenant ni un mal, tant cet objectif est une gageure et, au contraire, un gage de dysfonctionnement.

Au-delà des nouvelles arrivées – ou des retours, comme Marlène Schiappa ou Geneviève Darrieussecq –, certains portefeuilles évoluent. Ainsi les Relations avec le Parlement échoient à Franck Riester : c’est sans doute un signe pour la droite dont il est issu et dont il est resté proche, en dépit de son exclusion des Républicains en 2017. Olivier Véran devient porte-parole du Gouvernement (équilibre vers la jambe gauche) et son portefeuille est élargi au « Renouveau démocratique », étrange dénomination dont on attend de voir ce qu’elle recouvre. 

L’Outre-mer est décidément bien peu considéré : après avoir été confié à une Ministre qui n’en était pas issue (Yaël Braun-Pivet), il n’est plus un ministère de plein exercice et revient à Gérald Darmanin, signifiant d’ailleurs que le sujet est davantage abordé sous l’angle sécuritaire que de la cohésion territoriale. Enfin, si la Nouvelle-Calédonie peut s’enorgueillir d’être représentée au Gouvernement (c’est sans doute la première fois), la nomination de Sonia Backès comme Secrétaire d’État peut être perçue comme une provocation à l’égard des indépendantistes alors qu’elle a toujours eu des rapports assez tendus avec eux. N’oublions pas que nous sommes dans une phase de négociations, afin de déboucher sur des accords devant prendre la suite des Accords de Nouméa de 1998.

Ces nouvelles nominations soulèvent néanmoins un problème politique, passager mais bien réel et qu’Elisabeth Borne a justement perçu en indiquant qu’elle ne sollicitera pas la confiance de l’Assemblée nationale après sa déclaration de politique générale du 6 juillet.

En effet, avec vingt-et-un députés qui sont aujourd’hui au Gouvernement ce sont autant de voix qui lui manqueront lors des prochains votes. Parmi eux, onze font leur entrée aujourd’hui et chacun ne sera remplacé par son suppléant qu’à compter du 5 août prochain, soit au terme du délai d’un mois déterminé par le Code électoral. Les dix autres ont vu ce délai commencer à courir à compter du début officiel de la Législature, soit le 22 juin : ils ne seront donc remplacés qu’à compter du 22 juillet.

D’ici là, la majorité, forte de 250 députés, ne peut compter que sur 229 voix (voire seulement 228, car il est de tradition que le président de séance ne prenne pas part au vote). Or, si l’on additionne les voix des oppositions les plus hostiles, soit les quatre groupes de la Nupes et le Rassemblement national, on compte 240 députés : la majorité est minoritaire.

Il est peu vraisemblable que ces oppositions s’unissent, dès à présent, autour d’une même motion de censure. Quand bien même elles le feraient, ce ne serait pas suffisant pour que cette motion soit adoptée, car il faut la majorité absolue des membres de l’Assemblées, soit 289 voix : elles en sont loin.

En revanche, dans la configuration actuelle et pour le vote de la confiance, où la majorité des suffrages exprimés doit être obtenue, la seule abstention du groupe Les Républicains (soixante-deux députés) et du groupe Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires (seize députés) ne suffira pas. Il faudrait qu’au moins certains de leurs membres votent pour (au moins douze), ce que rien ne garantit.

L’obtention de la confiance n’est pas une exigence juridique car notre Constitution prévoit qu’elle est présumée, celle du Président de la République étant suffisante. Cependant, sur le plan politique, une telle présomption ne vaut que si le Président détient lui-même la confiance des Français. En 1988, lors de la réélection de François Mitterrand, il n’y avait aucun doute : il avait été réélu, avec un score meilleur qu’en 1981, face à celui qui avait été son Premier ministre pendant deux ans et la majorité absolue n’était manquée que d’une quinzaine de voix.

Aujourd’hui, Emmanuel Macron, démocratiquement élu le 24 avril, fut politiquement battu le 19 juin. Il est lui-même affaibli de cette séquence électorale et le vote de la confiance aurait été un moyen de renforcer l’Exécutif. Ce ne sera pas le cas.

Au-delà, les premiers jours de la législature risquent d’être tendus. Cependant, les premiers textes en discussion concernent la sécurité sanitaire et le règlement du budget 2021, soit des textes moins crispants que le pouvoir d’achat ou la loi de finances rectificatives. Ces deux derniers ne viendront en discussion qu’à compter du 18 et du 20 juillet… soit presque au moment où les premiers suppléants rejoindront l’hémicycle.

Au moins, il semblerait que le Gouvernement Borne bis sache compter. Le saura-t-il jusqu’à franchir les 1000 bornes jours, l’avenir le dira !

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