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Des primaires précaires

Les primaires apparaissent comme le synonyme d’une démocratie renouvelée. Il ne faudrait pas qu’elles deviennent celui d’une démocratie faussée.

Perçue aujourd’hui comme un phénomène de mode, depuis le succès qu’ont connu les primaires citoyennes de 2011, elles pourraient fort bien s’installer durablement dans le paysage électoral. D’inspiration états-unienne, elles permettent de détacher la désignation d’un candidat de l’appareil du parti politique. En ce sens, elles s’inscrivent dans l’esprit de la démocratisation (du parti politique et, au-delà, de la société politique) et du renouvellement (de la classe politique et, au-delà, de la représentation démocratique elle-même, dans ses règles et ses personnes). C’est d’ailleurs cela qui a justifié leur introduction aux États-Unis, au début du XXème siècle pour les scrutins locaux, puis à partir du milieu du XXème siècle pour l’élection présidentielle : le candidat est choisi par la base et non plus par l’élite.

Elles renouvellent donc la démocratie en forçant les partis politiques à s’ouvrir sur le peuple. Toutefois, destinées à favoriser le jeu démocratique, il ne faudrait pas qu’elles aient le résultat inverse, en faussant son exercice.
 
D’une part, l’organisation des primaires fausse la durée effective du mandat. La dernière année d’un mandat est généralement consacrée à la campagne électorale qui approche. Le phénomène n’est ni nouveau ni isolé (le cas actuel des États-Unis le confirme). Mais, déjà en 2011, à nouveau en 2016, le temps des primaires anticipe le temps de la campagne faisant que ce n’est plus une mais presque deux années qui sont occupées par les élections et ses préparatifs.

D’autre part, les primaires peuvent fausser le débat politique, tel que relayé par les médias. Ce fut nettement le cas en 2011 : la primaire socialiste monopolisait le débat et accaparait les médias, au détriment des autres sujets et des courants politiques qui n’y participaient pas. Le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) avait dû intervenir en émettant cinq mises en demeure (premier niveau de sanction) à l’égard de cinq chaînes d’information continue. En 2015, il a indiqué qu’il « est disponible pour exercer, à la demande des organisateurs d’élections primaires ou des services de radio et de télévision, un rôle de conseil et de bons offices ».

De plus, elles peuvent aussi fausser l’équilibre financier de la campagne électorale : faut-il intégrer les dépenses des candidats à une primaire dans les dépenses du candidat (ainsi investi) à l’élection ? L’article L. 52-4 du code électoral paraît clair sur ce point : « les fonds destinés au financement de la campagne » doivent être recueillis par un mandataire, au cours de l’année précédant le premier tour du scrutin, pour l’élection présidentielle, mais cela ne concerne que le « candidat à une élection ». Ainsi, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) avait considéré que les dépenses engagées par François Hollande, en tant que candidat à la primaire socialiste, devaient être intégrées à son compte de campagne.

Toutefois, l’absence de législation soulève des interrogations, au mieux, ou des dysfonctionnements, au pis. La campagne menée par les autres candidats à la primaire, qui se rallient ensuite au candidat investi (car tel est le jeu des primaires), n’a-t-elle pas contribué à valoriser le programme politique, voire à diffuser les idées du parti qui investit le candidat ? Leurs dépenses ne devraient-elles pas, alors, être intégrées au compte de campagne, au moins partiellement ? Ce serait justifié, de ce point de vue, mais délicat car le candidat investi ne peut être tenu responsable des dépenses engagées par les autres candidats à la primaire. Le Conseil d’État a fait sienne cette analyse dans un avis rendu en 2013, à propos des élections municipales. De surcroît, l’absence de toute législation n’est-elle pas susceptible de conduire à des inégalités entre gros et petits partis (les premiers pouvant facilement financer des primaires, les seconds plus difficilement), ou entre ceux qui en organisent et ceux qui n’en organisent pas (les premiers voyant les dépenses de leur candidat grevées par les primaires, mais non les seconds) ?

Enfin, alors qu’elles ne devraient être qu’un tour de qualification démocratique, elles deviennent un tour de sélection stratégique, faussant ainsi l’équilibre partisan de l’élection. N’étant pas organisées le même jour, rien n’interdit à un même électeur de participer à toutes les primaires. Il peut alors le faire soit pour investir un candidat d’un parti qui n’a pas ses faveurs mais qu’il juge « le moins pire », soit au contraire pour investir un candidat d’un parti qui n’a pas davantage ses faveurs et face auquel le candidat de son parti a le plus de chances de l’emporter. L’ouverture des primaires devait tendre vers une démocratisation de la désignation. Elle tend en réalité vers sont instrumentalisation.

Les partis politiques font les candidats, tandis que le peuple fait l’élu. La démocratie ne peut se départir des partis politiques, les seconds permettant de structurer la première, donc de la rendre efficace et effective. Il ne faut donc pas que la première fasse disparaître les seconds, en accaparant leur mission. C’est pourquoi, il est indispensable de respecter le principe de liberté d’organisation des partis politiques. Mais il est tout autant indispensable de garantir leur égalité dans la démocratie, en établissant un cadre à leur action. Celui en matière de primaire est, pour l’heure, inexistant : cette précarité risque d’affaiblir la démocratie.

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