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François Hollande et le fait majoritaire contestataire
Répondant à l’invitation de l’Institut ibéro-américain de droit constitutionnel, j’ai pu exposer, lors de son XIIIème Congrès qui s’est tenu du 1er au 3 février derniers, la notion de « fait majoritaire contestataire » qui caractérise le quinquennat de François Hollande, à l’aune des événements les plus récents. C’était également une occasion de rendre hommage à la Constitution mexicaine qui a célébré, du 31 janvier au 5 février 2017, son 100ème anniversaire.
Si j’ai déjà présenté ce fait majoritaire d’un genre nouveau, ici ou là, je livre ici les grandes lignes de ma communication, qui en expose les dernières évolutions. Elles ne manquent pas d’éclairer la teneur du débat afférent à la campagne présidentielle.
La décision de François Hollande du 1er décembre 2016 de ne pas se présenter à sa propre succession au terme de son premier mandat est historique. Elle est l’aboutissement d’un quinquennat lui-même particulier, qui a vu naître un fait majoritaire d’un nouveau genre : le fait majoritaire contestataire.
D’une part, celui-ci se distingue des autres types de fait majoritaire que l’on a connu jusqu’à présent. Il n’est ni absolu et inconditionnel ni absolu et conditionnel. Il n’est pas davantage relatif ou pluriel. Il n’est pas non plus minoritaire ou d’opposition.
D’autre part, il se caractérise par l’existence d’une contestation au sein même du groupe et du parti politiques majoritaires à l’Assemblée nationale. On l’a vu apparaître lors du vote du 9 octobre 2012 sur le Traité de stabilité financière, où 20 députés socialistes ont voté contre. Il s’est manifesté à de nombreuses autres reprises, comme le vote de la loi sur la sécurisation de l’emploi (6 députés socialistes ont voté contre et 35 se sont abstenus), le 9 avril 2013.
Enfin, il a imposé la réutilisation de mécanismes prévus par la Constitution pour rationaliser le parlementarisme, qui n’avaient pas vocation à être utilisés dès lors qu’un groupe politique détient la majorité absolue à l’Assemblée nationale, comme c’était le cas en début de quinquennat. Il s’agit du vote bloqué (art. 44, al. 3 de la Constitution) et de l’article 49, alinéa 3.
On peut identifier sept facteurs qui causèrent ce fait majoritaire particulier. Aucun n’est déterminant en soi et il n’est point indispensable qu’ils soient tous présents pour que celui-ci voie le jour. Mais leur conjonction pendant ce quinquennat a conduit inéluctablement à cette situation.
En premier lieu, la victoire de François Hollande : il s’agit davantage d’une victoire par contestation que par adhésion. Si François Hollande a été élu, c’est d’abord parce que Nicolas Sarkozy a été battu.
En deuxième lieu, la victoire aux législatives : si l’obtention d’une majorité socialiste résulte de l’effet de l’élection présidentielle, elle est également due au rejet de l’ancienne majorité. Les nouveaux élus se sentaient alors certes redevables au Président, mais peut-être moins qu’ils n’auraient dû l’être.
En troisième lieu, l’arrivée de nouveaux élus : à nouvelle majorité, nouveaux élus, par définition. Mais les élections de 2012 ont permis un (certain) renouvellement. Les jeunes députés, peu expérimentés, étaient peu familiers de la solidarité majoritaire.
En quatrième lieu, le contexte de crise économique : chômage, croissance faible, dette ont causé un mécontentement de la population, contribuant à l’alternance. Les électeurs attendaient beaucoup du nouveau Gouvernement, qui a cumulé erreurs de communication et manque de pédagogie.
En cinquième lieu, la nomination du Premier ministre : si Jean-Marc Ayrault était parfaitement légitime, en ayant largement contribué à la victoire du Président grâce au relai qu’il entretenait auprès des députés socialistes, il n’était point le seul. La primaire de 2011, conférant certes une légitimité au candidat qu’elle a désigné, en a également conféré une à celle qui l’a mis en ballotage et qui se trouvait également être le Premier Secrétaire du Parti socialiste.
En sixième lieu, les investitures aux élections législatives : elles ont été décidées sous la direction de Martine Aubry, non de François Hollande. Or leur opposition latente a engendré un certain détachement des députés fraîchement élus vis-à-vis du second, alors qu’ils se sentaient redevables à la première.
En septième lieu, la « normalité » : la « présidence normale », prônée par le candidat, ne pouvait être pleinement appliquée par le Président, car ce dernier est par définition une personne extraordinaire. L’autorité nécessaire lui a alors fait défaut.
Tout cela a inéluctablement conduit à une fragmentation de la majorité, non seulement des partis alliés, mais aussi et surtout du parti du Président. C’est sans doute là la caractéristique essentielle de ce fait majoritaire d’un nouveau genre.
Cette contestation politique interne a ensuite gagné l’opinion publique, engendrant une perte de crédibilité, d’autorité et de légitimité du Président et de son Gouvernement. À ce titre, en septembre 2014, Manuel Valls a été le premier Premier Ministre de l’histoire de la Vème République à n’obtenir la confiance de l’Assemblée nationale qu’avec une majorité relative. Pour gouverner, le recours aux armes du parlementarisme rationalisé fut alors indispensable. La conclusion finale vint avec le renoncement du 1er décembre 2016.
Un Président a décidément besoin du soutien de l’Assemblée nationale pour conduire sa politique et que c’est donc bien des élections législatives que vient le pouvoir.
Gardons-le constamment à l’esprit.