En cette période de célébration du 65e anniversaire de la Constitution, qui aura lieu le 4 octobre prochain, le Sénat, l’une des institutions les plus anciennes de notre histoire constitutionnelle, vient d’être partiellement renouvelé, confirmant son orientation éternellement conservatrice. Si tel était son nom lorsqu’il est apparu dans la Constitution de l’an VIII (13 décembre 1799), qualifié par le Titre II « Du Sénat conservateur », il ne s’agissait non d’une caractéristique politique, mais bien constitutionnelle, car il était alors chargé de « conserver » la Constitution, c’est-à-dire de veiller sur son respect. Il devait ainsi constituer un contrepouvoir, toutefois fortement limité par la puissance du Premier Consul, puis de l’Empereur.
Aujourd’hui, le Sénat de la Ve République exerce un rôle majeur dans l’équilibre des pouvoirs de notre régime, l’érigeant en contrepouvoir indispensable. En effet, la forte centralisation administrative et politique du régime, héritage du jacobinisme pour l’une et résultat du fait majoritaire pour l’autre, commande qu’une seconde assemblée parlementaire, représentant les collectivités territoriales, soit à même de limiter la politique majoritaire, sans pour autant l’entraver. Tel est le rôle qu’il endosse, le Sénat ne disant jamais « non » par dogmatisme et jamais « oui » par discipline, selon la formule de son Président actuel. Sa mission de vigilance, exercée lors de l’affaire Benalla ou au cours de la crise sanitaire, témoigne de la particulière nécessité de cette seconde chambre, dotée de pouvoirs importants, en mesure de freiner, voire d’empêcher la majorité présidentielle.
En ce 4 septembre, nous célébrons le 153e anniversaire de la République, proclamée de manière définitive en 1870. C’est aussi le 65e anniversaire du discours par lequel le Général de Gaulle présenta, en 1958, le projet de Constitution, place de la République, à Paris. Ni la date ni le lieu n’étaient laissés au hasard pour exposer la nouvelle norme fondamentale que les Français ont adoptée en masse le 28 septembre suivant et qui est entrée en vigueur le 4 octobre. Elle rappelle que notre République est « laïque, démocratique et sociale » (art. 1er) et que sa devise est « Liberté, Égalité, Fraternité » (art. 2), autant de règles qui doivent guider l’action publique.
Ainsi, dans quelques semaines, la Constitution de la Ve République aura soixante-cinq ans. S’il faudra encore attendre quatre mois pour qu’elle passe effectivement à la postérité comme la plus durable de notre histoire (le 21 février 2024), cet anniversaire compte : nombreuses sont les voix qui considèrent qu’avec cet âge avancé, il est temps de lui offrir une retraite méritée et de passer à une VIe République.
À l’heure où les parieurs font la fortune des bookmakers et où les journalistes nous livrent tous leurs pronostics du Tiercé gagnant des départs, des mouvements et des entrants au Gouvernement, on maintient ce que l’on a pu écrire : Borne va rester. Le risque existe d’être désavoué, mais les raisons de son départ sont si faibles qu’on prendrait un risque plus grand encore à entretenir une telle rumeur.
Cette dernière confirme cependant que rien ne change, ce qui n’est guère rassurant.
Depuis 2017, le Président de la République aime à montrer qu’il est le « maître des horloges ». Tactique judicieuse lorsque l’on est fort d’une légitimité incontestable, elle devient bien plus risquée lorsque l’on est affaibli : on se fait attendre, la rumeur est entretenue, le choix n’apparaît pas… Il en ressort alors un sentiment d’hésitation, d’incapacité à prendre une décision et, pis, de déception car, quoi qu’il arrive, ce ne sera jamais conforme à tous les pronostics (ne serait-ce que parce qu’ils ne sont pas compatibles) et aux attentes qu’ils suscitent.
La rumeur est de plus en plus intense : les jours d’Élisabeth Borne à Matignon sont comptés. Elle est surtout de plus en plus diversifiée… On a entendu les noms de Gérard Larcher, Julien Denormandie, François Baroin, Jean-Pierre Raffarin, Christine Lagarde et on en oublie certainement.
Cette diversité confirme surtout qu’il ne s’agit là que de rumeurs, davantage destinées à entretenir les pulsions médiatiques qu’un objectif politique.
D’ailleurs, si on y regarde de près, rien ne justifierait qu’Élisabeth Borne ne soit congédiée.
Remarquons d’abord que tout changement de Premier ministre opère soit au lendemain d’un événement politique majeur, soit en raison d’un désaccord notoire avec le Président de la République. Jean Castex succède à Édouard Philippe après les municipales de 2020, qui s’étaient alors tenues dans un contexte très particulier. Bernard Cazeneuve remplace Manuel Valls après que ce dernier a fait acte de candidature à l’élection présidentielle, tandis qu’il avait lui-même remplacé Jean-Marc Ayrault après la déroute aux municipales de 2014. Alors que François Fillon est resté en fonction toute la législature, Dominique de Villepin est nommé à la place de Jean-Pierre Raffarin après la victoire du Non, au référendum de 2005. Édith Cresson, nommée en remplacement de Michel Rocard dont l’opposition avec François Mitterrand devenait intenable, est congédiée au lendemain de l’effondrement de la gauche aux municipales de 1992, en laissant sa place à Pierre Bérégovoy. Pierre Mauroy, le compagnon de route du même Président, est remercié après les élections européennes de 1984, où le Front national a réalisé son premier score historique, à deux chiffres (10,95%), pour être remplacé par Laurent Fabius.