Une fois n’est pas coutume, avec la nomination du Gouvernement Barnier, nous avons un crash démocratique avant d’avoir un clash politique.
Ce crash était annoncé, depuis la nomination de Michel Barnier comme Premier Ministre : c’est la première fois de l’histoire de la Ve République que celui qui est chargé de définir la politique nationale n’a pas de mandat démocratique pour le faire. Notre régime est particulier, puisque c’est habituellement le Président de la République qui est investi de cette mission, même si la Constitution ne le dit pas. Il s’appuie alors sur une majorité (présidentielle) à l’Assemblée nationale, sur un Premier ministre et une équipe gouvernementale.
Il arrive qu’un tel mandat lui soit retiré, pour être confié à une autre force politique, dans les hypothèses de cohabitation. C’est alors le chef du bloc victorieux lors des élections législatives qui est lui-même désigné (Jacques Chirac en 1986 ou Lionel Jospin en 1997) ou qui désigne le Chef du Gouvernement (comme le fit Jacques Chirac pour Édouard Balladur, en 1993).
« J’ai décidé de vous redonner le choix de notre avenir parlementaire par le vote. […] Que la parole soit donnée au peuple souverain, rien n’est plus républicain. Cela vaut mieux que tous les arrangements, toutes les solutions précaires. C’est un temps de clarification indispensable. […] J’ai entendu votre message, vos préoccupations, et je ne les laisserai pas sans réponse. »
Tels étaient les mots du Président de la République, le 9 juin au soir, lorsqu’il a prononcé la dissolution de l’Assemblée nationale. Pour le dire simplement, il souhaitait un « vote » du « peuple souverain » pour une « clarification indispensable ». La vérité quant à la cause était déjà ailleurs, car il s’agissait surtout de réagir après la déroute qu’il venait de subir, en raison des résultats aux européennes. Mais l’essentiel était là et mérite d’être répété : vote, peuple souverain, clarification indispensable.
On ne peut préserver la démocratie par des mesures antidémocratiques. Cette règle de simple bon sens a pourtant été plusieurs fois remise en cause depuis l’ouverture de la XVIIe Législature.
Cette Législature s’est ouverte, comme il se doit, par l’élection des instances de l’Assemblée nationale : la présidence, le bureau, les commissions. On a alors assisté à une succession de dysfonctionnements.
Yaël Braun-Pivet, Présidente sortante de l’Assemblée nationale, a été réélue au Perchoir, au troisième tour de scrutin (qui ne requiert que la majorité relative), avec treize voix d’écart par rapport à André Chassaigne. Il est incontestable que dix-sept ministres démissionnaires élus députés ont participé à ce scrutin. Il y a un débat sur leur droit d’y participer, puisque l’article 23 de la Constitution et l’article LO153 du code électoral le leur retirent. D’aucuns arguent que ce dernier, au contraire, le leur confèrerait, puisqu’il dispose que « l’incompatibilité ne prend pas effet si le Gouvernement est démissionnaire avant l’expiration dudit délai », oubliant que le délai en question est celui entre la nomination d’un Gouvernement et sa démission éventuelle (or le Gouvernement avait été nommé en janvier) et que, même si on extrapole en retenant que le délai court à compter de l’élection, cette absence d’incompatibilité est seulement destiné à permettre au ministre élu député de rejoindre les bancs de l’Assemblée, sans être remplacé par son suppléant et sans attendre les délais de carence, dès lors qu’il est pleinement délivré de ses fonctions ministérielles, donc qu’il est remplacé.
Les ministres démissionnaires ne devraient pas siéger – et encore moins voter – à l’Assemblée, estime Jean-Philippe Derosier. « La Constitution est claire : incompatibilité stricte », soutient ce professeur de droit public.
C'est le débat juridique du moment, et il agite fortement la petite communauté des constitutionnalistes : les dix-sept ministres du gouvernement démissionnaire de Gabriel Attal, élus députés après la dissolution, peuvent-ils siéger au Palais-Bourbon alors qu'ils sont toujours en charge des « affaires courantes » ? Pouvaient-ils prendre part à l'élection de la présidente et du bureau de l'Assemblée ? Pour Jean-Philippe Derosier, professeur agrégé de droit public (Université de Lille), la réponse est « non ».