A l’approche du second tour, les incertitudes sont nombreuses. Les sondages annoncent un Rassemblement national (RN) victorieux au soir du 7 juillet. Mais personne ne peut dire avant les résultats définitifs, si le parti de Marine Le Pen aura une majorité absolue (289 sièges au moins) ou seulement relative. Jordan Bardella a déjà annoncé qu’il n’accepterait le poste de Premier ministre qu’à condition d’avoir les moyens de gouverner, c’est-à-dire suffisamment de députés pour soutenir sa politique. Dans le cas inverse, quelles marges de manœuvre aurait-il s’il ne disposait que d’une majorité relative ?
Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public, titulaire de la chaire d’études parlementaires de l’université de Lille et spécialiste de la Constitution, l’assure : si le RN sort gagnant de ces élections, « il y aura peut-être davantage de conflictualités et de désaccords entre le Président et le Premier ministre sur le plan politique mais les institutions fonctionneront ». Auprès de Libération, il précise ce que prévoit la Constitution au sujet de la nomination du Premier ministre et de la constitution de son équipe ainsi que les leviers dont disposeraient les oppositions face à un gouvernement mené par Jordan Bardella.
Le premier tour des élections législatives, consécutives à la dissolution prononcée par le Président de la République le 9 juin, présente des résultats exceptionnels pour certains, inédits pour d’autres. Les commentaires que l’on entend depuis hier ne manquent pas de le souligner. On n’en ajoutera pas davantage ici, si ce n’est d’insister sur l’impérative prudence quant aux projections qui peuvent être faites à ce stade. Elles ne sont pas nécessairement fausses, mais elles devront être affinées en tenant compte, d’une part, des triangulaires véritables, donc des désistements possibles jusqu’à mardi 2 juillet, à 18 heures et, d’autre part, du comportement des électeurs car les reports de voix ne seront pas systématiquement mathématiques.
En revanche, sur le plan institutionnel, on veut tirer trois enseignements de ce scrutin, qui pourraient paraître iconoclastes au regard des discours que l’on entend depuis hier soir : ils concernent la participation, les candidatures et la force de l’extrême droite.
La dissolution prononcée par le Président de la République le 9 juin plonge les électeurs, les partis politiques et les candidats dans de nombreuses incertitudes. Mais il en est une que l’on peut lever d’emblée : la majorité absolue n’est pas nécessaire pour gouverner.
Jordan Bardella, candidat aux fonctions de Premier ministre et Président du Rassemblement national déclare qu’il ne gouvernera que s’il dispose d’une telle majorité. On peut d’abord s’étonner d’une telle déclaration de la part du chef d’un parti qui a toujours défendu l’instauration du scrutin proportionnel alors que ce dernier, précisément, ne peut que très difficilement conduire à l’obtention d’une majorité absolue. D’ailleurs, la seule fois où ce mode de scrutin s’est appliqué aux élections législatives (en 1986), aucun parti n’a remporté cette majorité et la cohabitation n’a pu avoir lieu que grâce à une coalition des deux partis de la droite républicaine, à l’époque le RPR (ancêtre de LR) et l’UDF (ancêtre du MoDem).
Alors que le Président de la République nous avait habitué, depuis 2017, à être le « maître des horloges », on pourrait croire qu’il a cédé à la précipitation en prononçant, dès le soir des élections européennes, la dissolution de l’Assemblée nationale. Pourtant, cette décision ne doit rien au hasard.
En effet, le résultat de ces élections ont traduit un véritable séisme pour la France et une véritable déroute pour la majorité présidentielle, donc pour le Président de la République qui s’était personnellement impliqué dans la campagne électorale. L’extrême droite avoisine les 40% des voix (avec les listes de Jordan Bardella, de Marion Maréchal-Le Pen et de Florian Philippot), le Rassemblement national n’a jamais été aussi haut, à plus de 30%, tandis que la liste de la majorité demeure en-dessous des 15%, en seconde position. Une telle débâcle électorale supposait d’en prendre la mesure et imposait donc une réaction politique et institutionnelle.