Ce billet est initialement paru sous forme de tribune dans Le Monde.
Le Conseil constitutionnel ne dit pas ce qu’est ou doit être la volonté générale : il veille simplement à ce que cette dernière s’exprime dans le respect de la Constitution, estime, dans une tribune au « Monde », le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier.
L’Exécutif, Président de la République et Gouvernement, a joué un jeu dangereux avec la loi immigration. Au prétexte de vouloir une loi à tout prix, il a conclu un accord permettant d’adopter un texte intégrant des mesures manifestement contraires à la Constitution, ce qu’il savait, comptant expressément sur le Conseil constitutionnel pour les faire disparaître et revenir ainsi à une version de la loi que la majorité jugeait plus acceptable.
Le Président de la République française dispose d’un droit de veto législatif : la Constitution lui confie la pouvoir de refuser de promulguer une loi qui a été adoptée par le Parlement. En effet, bien qu’un tel droit n’y figure pas expressément, l’article 10, al. 2 de la Constitution permet au Président, pendant le délai de quinze jours dont il dispose pour promulguer la loi, de « demander au Parlement une nouvelle délibération de la loi ou de certains de ses articles. Cette nouvelle délibération ne peut être refusée ».
Une telle prérogative pourrait permettre au Président de ne pas promulguer immédiatement la loi immigration, soit parce qu’il considère qu’elle est désormais trop incomplète en raison des censures du Conseil constitutionnel, soit parce qu’elle s’écarte de la ligne politique qu’il défend, soit encore parce qu’il juge qu’elle attiserait des conflits et des divisions, plutôt que de les apaiser.
En plus de soixante-cinq ans de Ve République, cette disposition n’a été mobilisée qu’à trois reprises : en 1983 et en 1985 par François Mitterrand, puis en 2003 par Jacques Chirac. Dans les deux derniers cas, la nouvelle délibération a été demandée pour pallier une déclaration d’inconstitutionnalité par le Conseil constitutionnel. Le Parlement a réexaminé la loi et l’a adoptée de façon conforme à la Constitution, pour qu’elle puisse être finalement promulguée.
Vingt mois après sa réélection, Emmanuel Macron a décidé de changer de Premier ministre, non sans soulever quelques interrogations.
Pourquoi renvoyer Élisabeth Borne ?
Aucune raison institutionnelle ne le justifie.
Deux dossiers importants avaient été confiés à son Gouvernement : la réforme des retraites et l’immigration. Quoique non sans mal, ils ont tous deux été conduits à leur terme, dans les conditions voulues par le Président de la République : en abaissant l’âge légal de départ à la retraite, pour le premier et sans recourir à l’article 49, al. 3, pour le second. De surcroît, la Première ministre a su construire des « majorités de projet » sur les autres textes qui le nécessitaient. Elle a fait adopter les budgets. Ajoutons que si elle a dû avoir recours vingt-trois fois au 49, al. 3, elle n’a été mise en danger qu’une seule fois, échappant à la censure de neuf voix. Quant au rejet de la loi immigration, en première lecture, à l’Assemblée nationale, la responsabilité en incombe au Ministre de l’Intérieur, en charge du projet et au carrefour des négociations.
Cette interview est initialement paru dans Libération.
Plus que d'un dysfonctionnement des institutions, le feuilleton autour de la commission mixte paritaire sur la loi immigration est révélateur de la manière dont la majorité actuelle les pratique, selon le professeur de droit public Jean-Philippe Derosier.
Des suspensions de plusieurs heures, des tractations en coulisses, des rendez-vous à Matignon et même des coups de fil - démentis par l'Elysée - du chef de l'Etat à plusieurs protagonistes du dossier : la commission mixte paritaire (CMP) qui a réuni quatorze députés et sénateurs chargés de trouver un compromis sur le projet de loi immigration s'est déroulée dans une ambiance spectaculaire. Une situation «exceptionnelle» mais pas dysfonctionnelle, selon le professeur de droit public Jean-Philippe Derosier, également titulaire de la chaire d'études parlementaires à l'université de Lille, qui y voit tout de même la démonstration que l'exécutif n'a pas encore réussi à appréhender sa situation de majorité relative.