La dissolution prononcée par le Président de la République le 9 juin plonge les électeurs, les partis politiques et les candidats dans de nombreuses incertitudes. Mais il en est une que l’on peut lever d’emblée : la majorité absolue n’est pas nécessaire pour gouverner.
Jordan Bardella, candidat aux fonctions de Premier ministre et Président du Rassemblement national déclare qu’il ne gouvernera que s’il dispose d’une telle majorité. On peut d’abord s’étonner d’une telle déclaration de la part du chef d’un parti qui a toujours défendu l’instauration du scrutin proportionnel alors que ce dernier, précisément, ne peut que très difficilement conduire à l’obtention d’une majorité absolue. D’ailleurs, la seule fois où ce mode de scrutin s’est appliqué aux élections législatives (en 1986), aucun parti n’a remporté cette majorité et la cohabitation n’a pu avoir lieu que grâce à une coalition des deux partis de la droite républicaine, à l’époque le RPR (ancêtre de LR) et l’UDF (ancêtre du MoDem).
Alors que le Président de la République nous avait habitué, depuis 2017, à être le « maître des horloges », on pourrait croire qu’il a cédé à la précipitation en prononçant, dès le soir des élections européennes, la dissolution de l’Assemblée nationale. Pourtant, cette décision ne doit rien au hasard.
En effet, le résultat de ces élections ont traduit un véritable séisme pour la France et une véritable déroute pour la majorité présidentielle, donc pour le Président de la République qui s’était personnellement impliqué dans la campagne électorale. L’extrême droite avoisine les 40% des voix (avec les listes de Jordan Bardella, de Marion Maréchal-Le Pen et de Florian Philippot), le Rassemblement national n’a jamais été aussi haut, à plus de 30%, tandis que la liste de la majorité demeure en-dessous des 15%, en seconde position. Une telle débâcle électorale supposait d’en prendre la mesure et imposait donc une réaction politique et institutionnelle.
Ce billet est initialement paru sous forme de Tribune dans Le Monde
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Alors que le Président de la République nous avait habitué à prendre son temps, il semblerait qu’il se soit précipité sur la dissolution. Non seulement est-elle prononcée le soir même des élections européennes auxquelles elle entend réagir, mais elles sont convoquées dans un délai extrêmement court, puisque le premier tour aura lieu le 30 juin, soit dans trois semaines à peine. Cependant, s’il s’agit bien d’un record sous la Ve République, ce délai n’est pas totalement différent de ceux qui ont pu s’appliquer dans le passé.
Sur les cinq dissolutions que l’on a connues jusqu’à présent, depuis 1958, trois d’entre elles ont conduit à des élections moins de vingt-cinq jours plus tard : en 1968 (vingt-quatre jours), en 1981 (vingt-quatre jours) et en 1988 (vingt-deux jours). Il est vrai que lors de ces deux dernières, elles s’inscrivaient dans le prolongement d’une élection présidentielle et ne faisaient donc que poursuivre une campagne électorale déjà menée. Le délai qui a séparé les deux autres dissolutions des élections législatives était quant à lui plus long : quarante jours en 1962 et trente-trois jours en 1997.
Le dimanche 9 juin 2024, pour la dixième fois de l’histoire, les citoyens français se rendront aux urnes pour élire leurs représentants au Parlement européen, ensemble avec les citoyens des vingt-six autres États membres de l’Union européenne. Scrutin particulier s’il en est, l’élection européenne est la seule qui, en France, ne se déroule qu’en un seul tour et, surtout, dont les règles ou le simple principe ne sont pas prévus par la Constitution.
En effet, qu’il s’agisse du Président de la République (articles 6 et 7), de l’Assemblée nationale et du Sénat (articles 24 et 25), des conseils des collectivités territoriales (article 72), des assemblées délibérantes de la Nouvelle-Calédonie (article 77), leurs élections sont constitutionnellement encadrées. Il en est encore de même du référendum, qu’il soit national (articles 11 et 89) ou local (article 72-1). Toutes ces élections relèvent du cadre de la République et participent, directement ou indirectement, de l’expression de la souveraineté nationale.