« La Constitution, toute la Constitution, rien que la Constitution » : tels étaient les mots de François Mitterrand, en 1986, à la veille des élections législatives qui devaient amorcer la première cohabitation. Près de quarante ans plus tard, alors que le pays paraît plonger depuis dimanche 7 juillet dans une période de grande incertitude, il est nécessaire de s’appuyer sur notre texte fondamental pour apporter les clarifications nécessaires.
Au soir du second tour, le Premier ministre a indiqué que, « fidèle à la tradition républicaine, je remettrai demain matin ma démission au Président de la République ». En effet, au lendemain d’élections nationales, il est de tradition que le Premier ministre procède ainsi, afin que le Président de la République puisse tirer les conséquences de ces élections. Cependant, si « la Constitution » ne l’impose pas formellement, une lecture de « toute la Constitution » permet bien de comprendre qu’il ne s’agit pas là d’une simple tradition, mais d’une application de principes constitutionnels.
Le Premier ministre Gabriel Attal peut-il aussi présider le groupe Renaissance à l’Assemblée alors que la Constitution interdit un tel cumul ? Éclairage avec les constitutionnalistes Jean-Philippe Derosier et Benjamin Morel.
Réélu député des Hauts-de-Seine à l’issue des législatives anticipées, Gabriel Attal a officiellement annoncé ce vendredi 12 juillet sa candidature à la présidence du groupe Renaissance à l’Assemblée. Seul candidat en lice, le Premier ministre devrait être désigné samedi. Il devrait pouvoir, par la suite, représenter son parti à la conférence des présidents, qui se réunit chaque semaine afin de décider de l’ordre du jour de l’hémicycle. Seulement, l’article 23 de la Constitution est clair : « Les fonctions de membre du gouvernement sont incompatibles avec l’exercice de tout mandat parlementaire. » Or bien que Gabriel Attal ait remis sa démission au président de la République le 8 juillet, celui-ci ne l’a pas encore acceptée. Il reste donc Premier ministre de plein exercice.
Libération a interrogé deux constitutionnalistes sur cette contradiction. Jean-Philippe Derosier est professeur agrégé de droit public à l’université de Lille et titulaire de la chaire d’études parlementaires, et Benjamin Morel maître de conférences en droit public à l’université Paris-Panthéon-Assas.
Les résultats des élections législatives paraissent nous plonger dans l’incertitude, non seulement quant à la composition du gouvernement et à l’identité de celui ou celle qui le dirigera, mais aussi quant à la faculté de nos institutions à résister aux multiples crises qui s’annoncent. Pour autant, l’expérience de bientôt soixante-six ans de Ve République enseigne que notre Constitution a toujours permis – jusqu’à présent – de surmonter les crises qui advenaient. On veut croire que ce sera encore le cas et les prochains jours seront déterminants.
Les électeurs ont adressé un premier message d’une incroyable clarté : non à un gouvernement d’extrême droite. Alors que l’on s’attendait à ce que ce bloc soit en tête à l’issue du second tour, il est relégué en troisième position. C’est la victoire du front républicain, c’est-à-dire d’une union des forces républicaines contre un gouvernement extrémiste, qui assumait de remettre en cause des principes constitutionnels. Cette victoire oblige ceux qui en ont profité et ils doivent en tirer les conséquences.
A l’approche du second tour, les incertitudes sont nombreuses. Les sondages annoncent un Rassemblement national (RN) victorieux au soir du 7 juillet. Mais personne ne peut dire avant les résultats définitifs, si le parti de Marine Le Pen aura une majorité absolue (289 sièges au moins) ou seulement relative. Jordan Bardella a déjà annoncé qu’il n’accepterait le poste de Premier ministre qu’à condition d’avoir les moyens de gouverner, c’est-à-dire suffisamment de députés pour soutenir sa politique. Dans le cas inverse, quelles marges de manœuvre aurait-il s’il ne disposait que d’une majorité relative ?
Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public, titulaire de la chaire d’études parlementaires de l’université de Lille et spécialiste de la Constitution, l’assure : si le RN sort gagnant de ces élections, « il y aura peut-être davantage de conflictualités et de désaccords entre le Président et le Premier ministre sur le plan politique mais les institutions fonctionneront ». Auprès de Libération, il précise ce que prévoit la Constitution au sujet de la nomination du Premier ministre et de la constitution de son équipe ainsi que les leviers dont disposeraient les oppositions face à un gouvernement mené par Jordan Bardella.