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Les Français et le pouvoir

« Les Français et le pouvoir ». Tel était l’objet d’un sondage Ifop pour Ouest France mené en ligne les 16 et 17 octobre 2018 auprès de 1 006 personnes et publié le 31 octobre. Ses résultats, brièvement évoqués par différents médias, méritent qu’on y revienne car ils suscitent d’abord des surprises et génèrent ensuite une réflexion.

La première question posée concernait le « détenteur du pouvoir en France » : « Selon vous, qui détient le pouvoir aujourd’hui en France ? En premier ? En second ? ». Les sondés pouvaient donc apporter deux réponses, parmi les six choix qui s’offraient à eux.

Nouveau départ

« Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? »

Telle était la question posée aux 174.000 électeurs autorisés à voter au référendum sur l’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie, qui s’est tenu hier 4 novembre 2018.
Pour voter, il fallait remplir l’un des huit critères posés par la loi organique et qui restreignaient le corps électoral à ceux qui avaient un attachement réel et ancien au territoire, soit en y étant né, soit en y ayant un attachement familial et le centre de ses intérêts matériels et moraux depuis 10 ans, soit en y résidant depuis près de 25 ans. Ainsi, quelqu’un qui ne serait pas né en Nouvelle-Calédonie et qui serait venu s’y installer après le 1er janvier 1995, sans plus jamais avoir quitté le territoire et sans plus avoir d’attaches avec la métropole, ne pouvait pas voter, alors même qu’il était lié au « destin commun » depuis presque 24 ans.

Sanctionner une victime

La récente décision du Comité des droits de l’homme des Nations Unies à l’encontre de la France ravive un sujet brûlant de la laïcité française : l’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public qui vise, quasi-exclusivement, l’interdiction du port du niqab ou de la burqa (qui est un dérivé radical du premier). Elle est le résultat de la loi du 11 octobre 2010, validée par le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme, néanmoins au terme d’une décision dont on pouvait percevoir les réserves et la faiblesse du raisonnement.

Si l’on ne saurait contester que le voile intégral ou, plus généralement, la dissimulation du visage dans l’espace public peut tout à la fois constituer une menace à l’ordre public (du fait de la nécessité de pouvoir identifier les personnes présentes dans l’espace public) et une atteinte à la communauté républicaine (du fait de la barrière physique et psychologique que cette dissimulation peut emporter), il n’en demeure pas moins que le dispositif imaginé par la loi est discutable.

D’une part, il porte atteinte à la liberté de religion, quoiqu’il ne le dise pas puisque le législateur a veillé à ne pas viser un signe religieux en particulier, mais à prohiber la dissimulation du visage de façon générale. La première hypothèse aurait sans doute encouru une censure de la part du Conseil constitutionnel.

D’autre part, il vise à sanctionner des victimes, au prétexte que le comportement qu’on leur impose est prohibé. En effet, ainsi que ce fut plusieurs fois rappelé lors des discussions sur le projet de loi, les femmes portant le voile intégral sont d’abord des victimes, d’une idéologie ou, surtout, d’une personne masculine de leur entourage proche.

C’est pourquoi, à l’époque, j’avais pris position contre cette loi, notamment en soulignant que condamner ainsi une victime reviendrait à condamner la personne violée parce qu’il est interdit d’avoir des rapports sexuels non consentis. La comparaison est forte, volontairement choquante, mais elle est éloquente.

Il s’agissait de l’Éditorial du Numéro 4 de la revue Jurisdoctoria, dédié aux Techniques de participation démocratique. Le lecteur de La Constitution décodée pourra le retrouver ci-après.

Pourriture

Dans un système démocratique, nul n’est au-dessus des lois, car la loi est la même pour tous.

Lorsque ce principe est remis en cause, le système politique est « pourri », ou gangréné, bien souvent par la corruption, parfois par la violence ou la tyrannie, si ce n’est par tout cela à la fois.

Deux garanties sont indispensables pour éviter une telle pourriture : l’indépendance de la justice et la liberté de la presse. La première assure qu’il n’y aura ni justice politique (la sanction d’actes en raison de leur nature politique) ni contrôle politique de la justice (le détournement de la justice par le pouvoir politique). La seconde renforce la transparence, alimente le débat public et permet au citoyen de disposer d’un choix éclairé lorsqu’il vote, en empêchant, là encore, que le pouvoir politique n’interfère sur les informations diffusées.

Les exclamations de Jean-Luc Mélenchon, la semaine dernière, contre magistrats et policiers d’abord, Gouvernement et Président de la République ensuite, journalistes enfin, tendent à interroger ces deux garanties. La justice est-elle véritablement indépendante ?, demandent les uns. « J’en suis le garant », répond Emmanuel Macron, ce qui pourrait confirmer que c’est précisément là le problème. La presse est-elle complice du pouvoir ?, demandent les autres. Elle n’est pas là pour pourrir les personnalités politiques, mais pour dénoncer ceux qui pourrissent le monde politique, aurait-elle pu répliquer.

Le fait est qu’à défaut d’être fondées, les questions sont au moins légitimes, au nom de la théorie des apparences : la justice ne doit pas seulement être, elle doit aussi paraître. Cela signifie que les justiciables et le peuple au nom de qui elle est rendue doivent avoir le sentiment qu’elle l’est effectivement, de façon juste et impartiale, en toute indépendance.

Mais sur cette première interrogation, il ne faut pas laisser pourrir notre esprit par des arguments qui ne seraient que vociférés et non justifiés. Monsieur Mélenchon, comme tous ses collègues parlementaires, s’expose à la justice. Cela permet d’ouvrir une enquête préliminaire, dont il fait actuellement l’objet et qui peut donner lieu à des perquisitions, son immunité ne le préservant que des mesures privatives ou restrictives de liberté.

Dans le cadre d’une enquête préliminaire, les perquisitions ont normalement lieu à l’initiative des officiers de police judiciaire ou du procureur de la République, sous la surveillance du procureur général (contrairement à celles se déroulant après une mise en examen, ordonnées par le juge d’instruction). Elles ne peuvent alors être effectuées qu’avec l’assentiment de l’intéressé. Mais l’on sait que les procureurs, en France, sont subordonnés au pouvoir hiérarchique du Ministre de la Justice, ce qui nous a d’ailleurs valu d’être condamnés par la Cour européenne des droits de l’homme et justifierait que l’on s’empresse de réviser la Constitution sur ce sujet.

Cependant, les crimes et délits passibles d’au moins cinq ans d’emprisonnement bénéficient d’une procédure dérogatoire, permettant que la perquisition ait lieu sans l’assentiment de l’intéressé, à la condition qu’elle ait été autorisée par le juge des libertés et de la détention (JLD), qui est, lui, un magistrat du siège (comme le juge d’instruction). Or Jean-Luc Mélenchon est poursuivi, notamment, pour « emploi fictif », c’est-à-dire, dans le code pénal, pour détournement de fonds publics, délit passible de dix ans d’emprisonnement : l’autorisation du JLD a été donnée la semaine précédant la perquisition.
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