Le « Grand débat national » paraît – enfin – ouvert.
Promis pour décembre, repoussé à début janvier, il débute donc le 15 janvier. Promis pour trois mois, il n’en durera que deux, puisque le Président de la République en fixe le terme au 15 mars. Promis des plus ouverts, destiné à « transformer les colères en solutions », afin que « nous nous reposions ensemble les grandes questions de notre avenir », tout laisse penser, pourtant, qu’il sera canalisé, fermé et orienté.
Du Grand débat national qui était promis il ne restera donc qu’un Grand rabâchage national d’idées préconçues, de propositions arrêtées, qu’il ne s’agit que de valider.
Cela ressort, en premier lieu, de la lettre qu’Emmanuel Macron a adressée aux Français. Certes, il y précise qu’« il n’y pas de questions interdites », parmi les quatre grands thèmes qui ont été retenus : fiscalité et dépenses publiques, organisation de l’État et des services publics, transition écologique, démocratie et citoyenneté.
Toutefois, cela permet d’exclure de grands sujets de société, non seulement ceux qui ont été évoqués ces derniers jours (la peine de mort, le mariage pour tous, l’interruption volontaire de grossesse), mais aussi ceux dont l’actuelle majorité entendait se saisir (élargissement de la procréation médicalement assistée, lois bioéthiques, par exemple). Il ne s’agit pas, ici, de soutenir qu’il faille revenir sur les premier sujets, au contraire : ce sont des avancées considérables dans la préservation des droits humains et il convient de les préserver, en les faisant d’ailleurs prospérer. Mais pourquoi exclure les seconds, si l’on prône un débat effectivement ouvert ? C’est donc davantage le décalage entre le discours et sa réalisation qui interpelle.
Surtout, alors que le « débat devra répondre à des questions essentielles qui ont émergé ces dernières semaines », le Président de la République précise que « nous ne reviendrons pas sur les mesures que nous avons prises pour corriger [l’impôt trop élevé qui prive notre économie des ressources qui pourraient utilement s’investir dans les entreprises] afin d’encourager l’investissement et faire que le travail paie davantage ». En d’autres termes, il n’y a pas de questions interdites… sauf l’ISF (l’impôt de solidarité sur la fortune) ! À moins que le Président ne dise clairement aux Français « Causez braves gens, nous ne vous écouterons pas ».
Car c’est ce qui transparaît également des autres sujets abordés. Cela vaut à l’égard du modèle social, qui « est aussi mis en cause », car « certains le jugent insuffisant, d’autres trop cher en raison des cotisations qu’ils paient ». Comment ne pas voir là un écho au « pognon de dingue », tristement passé à la célébrité ? Cela vaut encore à l’égard des institutions et de leur réforme, où les questions sur la dose de proportionnelle, la réduction du nombre de parlementaires, le rôle des assemblées, « dont le Sénat et le Conseil économique, social et environnemental » paraissent toutes largement orientées.
Le référendum est un mécanisme de souveraineté populaire. Il ne doit pas devenir l’outil d’un souverain populiste.
Dans une démocratie, on le sait, le pouvoir souverain appartient au peuple. C’est le cas de la Ve République, dont la Constitution précise que le peuple exerce sa souveraineté « par ses représentants et par la voie du référendum ». C’est également le cas de la République italienne, dont la Constitution indique, quant à elle, que le peuple l’exerce « dans les formes et les limites de la Constitution », cette dernière laissant également une place à l’expression référendaire, qu’elle soit constitutionnelle ou législative.
Aujourd’hui, la démocratie est essentiellement représentative, ce qui ne remet pas en cause le pouvoir du peuple pour autant : il élit des représentants qui vont exercer le pouvoir, en son nom. Ces représentants bénéficient ainsi d’une légitimité démocratique. De surcroît, ils sont responsables, devant alors rendre des comptes au peuple lui-même, en particulier en fin de mandat, lequel détermine le temps dont ils disposent pour mener leur mission politique.
On assiste désormais à une crise de la représentation, en ce que les citoyens ne se sentent plus effectivement représentés par leurs représentants. Elle apparaît dès lors qu’au cours du mandat, la majorité du peuple ne soutient plus la majorité des représentants. Pour éviter cela ou en contrôler les effets néfastes, diverses solutions sont proposées.
On évoque parfois l’hypothèse d’élections de mi-mandat, comme c’est le cas aux États-Unis et, en réalité, dans la plupart des pays du continent américain. Ce n’est pas une solution car elle ne fait que poser le problème en termes plus brefs. La politique s’inscrit dans la durée, non dans l’immédiateté, raison pour laquelle il faut qu’un mandat offre à ses détenteurs le temps nécessaire à la réalisation de sa mission. Surtout, la crise de la représentation risquerait de réapparaître de façon encore plus prégnante, les élus se souciant davantage de leur réélection prochaine que de l’intérêt général.
Cette Tribune a été accueillie dans Le Club de Médiapart. Elle est parue le jeudi 13 décembre 2018 et elle est aujourd’hui proposée aux lecteurs de La Constitution décodée. Il s’agit du dernier billet de l’année 2018 et je vous souhaite d’excellentes fêtes de fin d’année.
Depuis 1971, le Conseil constitutionnel a la possibilité d’identifier des principes constitutionnels qui ne sont pas expressément inscrits dans la Constitution de la Ve République. Il s’agit des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République », qui bénéficient d’une valeur constitutionnelle grâce au renvoi qu’opère le Préambule de notre Constitution au Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, lequel en consacre l’existence.
Il s’agissait, en 1946 et alors que le peuple avait marqué sa volonté de tourner la page de la IIIe République par le référendum du 21 octobre 1945, de ne pas rayer d’un trait de plume certaines « grandes lois républicaines » qui avaient pu être adoptées entre 1875 et 1940.
Le Conseil constitutionnel ne fait pas œuvre purement prétorienne pour autant. Il a cerné des conditions précises, permettant que soit identifié un principe fondamental reconnu par les lois de la République, ou « PFRLR » dans le jargon constitutionnaliste.
Pour cela, il faut d’abord un support législatif, donc une loi. Cette loi doit, ensuite, avoir été adoptée sous un régime républicain, puisqu’il s’agit d’une « loi de la République ». De plus, son adoption doit avoir eu lieu avant le 27 octobre 1946, date à laquelle le constituant a reconnu l’existence de tels principes, supposant qu’il faisait référence à ceux qui avaient pu être consacrés antérieurement et non à ceux qui pourraient l’être postérieurement. Cette règle ne doit jamais avoir fait l’objet d’une remise en cause depuis son adoption, sa continuité dépassant les aléas politiques. Enfin, pour qu’il soit identifié, il doit bel et bien s’agir d’un « principe », c’est-à-dire d’une règle générale et fondamentale, dotée d’une importance particulière pour figurer dans le socle constitutionnel.
Le contexte social actuel fait parler des casseurs, mais c’est une cassure qui en ressort.
Les casseurs frappent. Ils frappent les forces de l’ordre. Ils frappent les vitrines et les voitures. Ils frappent mêmes les passants ou les manifestants. Et ils frappent les esprits, naturellement.
Cependant, ce qui marque le plus, c’est la cassure : celle à laquelle le quinquennat d’Emmanuel Macron est confronté, depuis juillet 2018. Car tout part de là : alors que son élection avait redonné confiance aux Français, le Président de la République tangue, menaçant même de chavirer.
Grâce à sa légitimité issue des urnes et à la verticalité qu’il a voulu rétablir, il a pu faire adopter certaines réformes auxquelles d’autres s’étaient heurtés. Il en est ainsi de la réforme du droit du travail par ordonnances, de la réforme de la SNCF selon la même voie, de la loi antiterrorisme aux allures ultra sécuritaires. Toutes ont été adoptées malgré une contestation, largement contenue.