entete

« Je vous méprise »

« Je vous méprise. » Tel est le message d’Édouard Philippe aux députés, ce samedi après-midi.

« Je vous ai dit que nous étions pressés d’adopter un texte fondamental pour notre société et qui ne doit s’appliquer que dans plusieurs années. Je vous ai dit qu’il fallait donc vous hâter et ne point nous entraver. Je vous ai dit qu’il fallait être discipliné sans discuter. Vous avez fait tout le contraire. Je vous méprise. »

En substance, c’est à cela que correspond l’engagement de la responsabilité du Gouvernement sur le texte de la réforme des retraites. On peut au moins dédouaner le Premier ministre sur un point : il n’est pas le premier à le faire et à recourir à cet article pour une telle finalité. Mais c’est néanmoins la première fois qu’il sera ainsi appliqué depuis la révision constitutionnelle de 2008, qui tendait à limiter l’usage de ce procédé, tout en le rapportant à sa vocation d’origine.

Usage et mésusage du « 49.3 »

Ce billet est initialement paru sous forme de tribune dans Le Monde daté du 27 février 2020.

Le « 49.3 », en référence à l’article 49, alinéa 3 de la Constitution, est un formidable mécanisme de notre République parlementaire, parfaitement conforme aux principes démocratiques… pourvu qu’on en fasse un usage qui n’aille pas à l’encontre de ce pour quoi il est prévu.

Son objectif est simple et son mécanisme redoutablement efficace : il permet de créer une majorité lorsqu’elle est incertaine, en adoptant un texte sans le voter. Sa raison d’être s’inscrit dans l’esprit de rationalisation du parlementarisme inhérent à la Constitution de 1958 : lorsque le Gouvernement considère que le texte en discussion à l’Assemblée nationale est indispensable à la politique qu’il est chargé de conduire, il offre aux députés une alternative, soit continuer de soutenir le Gouvernement et adopter le texte, soit rejeter le texte en renvoyant le Gouvernement.

C’est pourquoi, dès lors que le 49.3 est appliqué et la responsabilité du Gouvernement engagée sur un texte, le débat sur le second s’arrête, pour se reporter exclusivement sur la première : on ne discute plus de la loi ni de ses amendements, mais seulement du maintien ou du renvoi du Gouvernement, son maintien équivalant à l’adoption du texte et son renvoi au rejet.

Il n’y a là rien de plus conforme aux principes démocratiques, car, au-delà de la représentation du peuple dans la diversité de ses opinions, la démocratie implique de prendre des décisions. Pour cela, il faut créer des majorités.

Dans l’esprit du 49.3, la majorité n’est pas contrainte mais favorisée. Elle demeure libre, à tout moment, de s’opposer au Gouvernement et de le renvoyer en le censurant. Telle est la logique de la rationalisation du parlementarisme établi par la Constitution de la Ve République, qui ne confie pas tant au le Gouvernement la charge de prouver qu’il est soutenu par sa majorité, mais à l’opposition celle de prouver qu’il ne l’est plus.

Trêve de bêtises

Le début du procès de François et Pénélope Fillon réintroduit la question de la « trêve judiciaire », déjà évoquée lors de la campagne électorale de 2017. Elle consisterait, pendant une campagne électorale, à interdire à la Justice de mettre en cause (d’enquêter, de poursuivre, de mettre en examen) des candidats à une élection, car cela pourrait influencer le scrutin.

Les arguments avancés sont principalement le système démocratique (il ne faut pas influencer l’électeur) et la séparation des pouvoirs (un pouvoir ne saurait s’immiscer dans le processus de désignation d’un autre pouvoir).

Une trêve judiciaire en période électorale, et puis quoi encore ?

Mauvais timing

La réforme des retraites est examinée par une commission spéciale, à l’Assemblée nationale, avant son examen en séance, la semaine prochaine. Invité de la mi-journée de la radio RFI le 3 février dernier, puis interrogé par Angélique Schaller, Journaliste à La Marseillaise, les lecteurs de La Constitution décodée pourront retrouver ici ces deux interviews, qui retracent la procédure parlementaire et dénoncent le recours à l’article 49, al. 3 de la Constitution, injustifié en l’espèce.

S’abonner à la lettre d’information
logo blanc