Sur la réforme des institutions, le Gouvernement commet une triple erreur : sur l’instant, sur la méthode, sur le fond. On s’interroge ainsi fortement sur les chances de succès de cette réforme.
Alors que pendant neuf mois il a bénéficié d’une légitimité forte et qu’il était soutenu par une majorité qui dépassait son seul parti politique, il choisit un moment de crispations pour amorcer le processus de réforme institutionnelle. Cette réforme se décompose en une loi constitutionnelle, une autre organique, une troisième ordinaire. Si les deux dernières peuvent être adoptées, en lecture définitive, par la seule Assemblée nationale (à l’exception des dispositions spécifiques au Sénat, pour la loi organique, telle la réduction du nombre de sénateurs), la première requiert d’abord un accord entre les deux chambres sur un texte identique, puis une ratification référendaire ou par le Congrès, à la majorité des 3/5e des suffrages exprimés.
Nul doute, ainsi, que le Sénat subordonnera son vote de la loi constitutionnelle à un accord général, sur l’ensemble de la réforme. Et bien mal inspiré serait le Président de la République qui essaiera de passer en force, sur ce sujet, contre Gérard Larcher, en tentant notamment le recours au référendum.
La méthode, également, est erronée. Quand donc un Président comprendra-t-il que, s’il dispose certes de l’initiative de la révision constitutionnelle, seul le Parlement peut la voter ?
Cela signifie que son accord est indispensable. Et, pour le garantir, autant associer d’emblée les parlementaires à la préparation de la révision, dans le cadre d’un processus transparent comme une commission constitutionnelle paritaire, associant députés et sénateurs de tous les groupes. En menant des négociations aussi obscures que secrètes pour, finalement, imposer un texte, l’Exécutif ne s’assure pas l’indispensable soutien parlementaire. En menant une préparation conjointe et transparente, il est alors plus difficile pour ceux qui ont préparé la réforme de refuser de la voter.
Tout Président de la République en exercice veut marquer la Constitution de son empreinte. Tous, ou presque, y sont parvenus.
Sans parler du Général de Gaulle, qui établit la Constitution de la Ve République en 1958 et la révisa par référendum en 1962, l’histoire retiendra Valéry Giscard d’Estaing pour la saisine parlementaire du Conseil constitutionnel, François Mitterrand pour l’ouverture à l’Union européenne, Jacques Chirac (et Lionel Jospin) pour la parité et le quinquennat, Jacques Chirac (seul) avec la Charte de l’environnement et le statut pénal du chef de l’État, Nicolas Sarkozy pour la QPC et l’ampleur inédite de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, dernière en date.
Les deux seuls Présidents à ne pas avoir touché la Constitution sont ainsi Georges Pompidou et François Hollande. Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Le premier voulut (déjà) introduire le quinquennat, mais renonça à convoquer le Congrès, sachant que la majorité serait insuffisante. Le second voulut entreprendre des réformes à deux reprises, en janvier 2013 puis en novembre 2015, mais dut à chaque fois renoncer, faute de majorité politique.
C’est dire si une révision constitutionnelle impose d’être négociée, pour traduire un certain consensus, puisqu’il faut nécessairement l’accord entre les deux chambres, puis avec 3/5e des parlementaires ou avec le peuple. L’une et l’autre condition ne sont jamais qu’une formalité.
Les réformes législatives importantes voulues par l’Exécutif résultent généralement d’une initiative gouvernementale. Celle-ci a alors suivi un cheminement précis, de la négociation interministérielle à l’adoption en Conseil des ministres, en passant par les arbitrages présidentiels et, surtout, l’examen du Conseil d’État.
S’il arrive parfois que des réformes naissent d’initiatives parlementaires, cela demeure assez rare et, généralement, ponctuel.
On fut donc surpris par le dépôt, la semaine dernière, de deux propositions de loi de Richard Ferrand, président du groupe majoritaire à l’Assemblée nationale, cosignées par nombre de ses collègues, relatives à la lutte contre les fausses informations. L’une est ordinaire et régit le dispositif, l’autre est organique et vise à l’appliquer à l’élection présidentielle.
Chaque semaine, plusieurs dizaines de propositions de loi sont déposées sur le bureau de chacune des assemblées. Elles passent souvent inaperçues et dépassent rarement le stade du dépôt. Quelques-unes seulement pourront être examinées en séance, dans le cadre de la journée réservée aux groupes d’opposition et minoritaires, mais en étant habituellement rejetées, sauf à ce qu’elles émanent d’un groupe participant de la majorité.
Il n’est donc pas étonnant que la presse généraliste ne les relaie point.
Le scrutin proportionnel ne garantit pas plus le fonctionnement de la démocratie que la démocratie ne fonctionne que grâce au scrutin proportionnel. Une démocratie qui repose sur « le gouvernement du peuple » doit en revanche assurer tant la diversité du peuple représenté que l’efficacité du gouvernement institué.
C’est pourquoi, l’argument justifiant l’introduction de proportionnelle pour l’élection des députés, au prétexte que le scrutin majoritaire ne reproduit pas fidèlement l’expression populaire, est fallacieux.