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Dissoudre le Sénat

Le Gouvernement a décidé de dissoudre le Sénat. Pourtant, la Constitution ne le permet pas, limitant cette possibilité à l’encontre de la seule Assemblée nationale.

Après le volet constitutionnel le 9 mai 2018, ce sont les volets organique et ordinaire de la réforme des institutions voulue par Emmanuel Macron qui ont été adoptés en Conseil des ministres, le 23 mai 2018 et déposés sur le bureau de l’Assemblée nationale.

Ils ne contiennent pas ou peu de surprises puisqu’ils reprennent principalement les mesures en débat depuis plusieurs mois : réduction du nombre de parlementairesintroduction d’une dose de proportionnellelimitation du nombre de mandats dans le temps.

À cela s’ajoute le renouvellement intégral du Sénat en 2021, qui avait été évoqué mais non encore confirmé. La raison invoquée est « d’éviter une entrée en vigueur progressive de la réduction du nombre de sénateurs à chaque renouvellement partiel du Sénat, ce qui conduirait à un déséquilibre excessif entre les deux séries », comme le précise l’exposé des motifs. Ainsi, les sénateurs élus en 2017 (série 1) verraient leur mandat réduit de deux ans, soit un tiers de sa durée, tandis que les sénateurs élus en 2014 (série 2) verraient leur mandat prorogé d’un an. Afin de revenir immédiatement au principe du renouvellement partiel, les premiers (série 1) seraient bien élus pour six ans (jusqu’en 2027), mais les seconds (série 2) seulement pour trois ans (jusqu’en 2024).

Ce serait la première fois que la durée du mandat d’un parlementaire sera autant affectée, hormis l’hypothèse d’une dissolution de l’Assemblée nationale, prévue par la Constitution.

Cela fait beaucoup d’éléments constitutionnels, non prévus par la Constitution, qu’il faudrait admettre

Par le passé, le mandat des députés avait été prolongé en 2001, avec effet sur le mandat en cours, pour rétablir le calendrier électoral et prévoir leur élection après l’élection présidentielle. Mais ce ne fut que de onze semaines. Quant au Sénat, le mandat fut prorogé d’un an pour tous les sénateurs par la loi du 15 décembre 2005, afin de permettre que le renouvellement du Sénat se fasse après les élections locales, elles-mêmes reportées en raison de l’accumulation d’élections au cours de l’année 2007. Jamais le mandat des sénateurs ne fut raccourci en cours de mandat, tandis que celui des députés ne le fut qu’en vertu du droit de dissolution.

De surcroît, la Constitution prévoit expressément que le Sénat se renouvelle partiellement, à travers la durée du mandat de son Président, lequel est élu « après chaque renouvellement partiel ». Certes, il ne s’agit pas d’une disposition qui impose directement un tel mode de renouvellement (comme c’est le cas, par exemple, pour l’élection au suffrage indirect, à l’article 24), mais elle l’induit néanmoins et il faudrait admettre que l’on puisse y déroger de façon exceptionnelle, sans que la Constitution ne le dise.

De plus, si on l’interprète strictement, cet article signifierait a contrario qu’après un renouvellement intégral, donc non partiel, on ne procèderait pas à l’élection du Président du Sénat, ce qui serait problématique. On pourrait alors admettre que cette obligation de l’élire « après chaque renouvellement partiel » signifie que l’on doit également l’élire après un renouvellement intégral, alors que la Constitution ne le prévoit pas. Mais cela commence à faire beaucoup d’éléments constitutionnels et non prévus par la Constitution qu’il faudrait admettre.

Si le maintien de la périodicité normale pourrait porter atteinte au principe d’égalité des suffrages, pour une partie seulement du Sénat, la modification porterait atteinte à l’article 32 de la Constitution, pour tout le Sénat, ainsi qu’à l’égalité du suffrage, pour une partie du Sénat, car les sénateurs élus par les électeurs de 2017 n’exerceraient leur mandat que pendant quatre ans, là où ceux élus par les électeurs de 2014 l’exerceraient pendant sept ans, soit presque le double.

Par ailleurs, la périodicité du renouvellement du Sénat le place à l’abri des secousses politiques de l’instant, ce qui contribue fortement à la différencier de l’Assemblée nationale et donc à justifier son existence. Elle est ainsi directement liée à son statut de seconde chambre et concerne l’équilibre même du bicamérisme sa nature même.

S’il n’appartient jamais au Conseil constitutionnel « de rechercher si le but que s’est assigné le législateur pouvait être atteint par d’autres voies », il peut retenir que la voie retenue est manifestement inappropriée, car contraire à la Constitution.

Sans compter, ne l’oublions pas, que ce renouvellement intégral relève d’une disposition organique… relative au Sénat. Il lui faut donc la voter : ce n’est pas fait.

Un asile dénaturé

Alors que de nouveaux drames ont eu lieu ce week-end en Méditerranée, le Gouvernement a-t-il décidé de mener une politique dénigrant les droits humains les plus élémentaires ?

Tel paraît être l’objet du projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif, adopté en première lecture à l’Assemblée nationale le 22 avril dernier, parfois avec l’appui de l’Extrême droite et examiné cette semaine, en Commission, au Sénat.

Il y poursuit sa politique de durcissement du droit d’asile, transformant ce droit au bénéfice d’une victime en prérogative que se préserve l’État.

Les partis politiques : structure de la démocratie

Présentation du 4e Forum International sur la Constitution et les Institutions politiques

Cette tribune est la Présentation du 4e Forum international sur la Constitution et les institutions politiques (ForInCIP). Elle paraitra le 4 juin 2018 dans le JCP-A, qui nous a aimablement autorisé à la publier également sur le blog.

La démocratie idéale est celle où chacun concourt personnellement à la décision collective, qui s’impose ensuite à tous. Sur le plan du droit, cela signifie l’identité entre le peuple sujet de la norme (son auteur) et le peuple objet de la norme (son destinataire). Mais parce qu’il est idéal, ce type de démocratie n’existe pas : des raisons objectives s’y opposent, que ce soit l’étendue géographique des territoires ou la taille des populations, mais aussi la simple nécessité de fixer un âge minimum pour participer activement à la vie politique.

Le fonctionnement de la démocratie repose alors sur le principe de la représentation. Pour cela, les partis politiques sont cruciaux : ils sont à la croisée des chemins de la démocratie.

En effet, les partis politiques constituent l’intermédiaire entre le peuple, qui les choisit et les soutient, et les institutions, qui s’appuient sur eux pour obtenir les élus avec lesquels elles fonctionnent. Ils structurent ainsi la démocratie : ils façonnent l’offre électorale et ils organisent l’accès à l’élection. C’est d’ailleurs la mission que leur assigne l’article 4 de la Constitution, selon lequel ils « concourent à l’expression du suffrage ». Lorsqu’un électeur choisit un bulletin de vote, il le fait généralement pour des raisons idéologiques, alimentées par les partis politiques et les programmes électoraux qu’ils ont élaborés. De même, les partis sont une voie d’accès aux fonctions électives et ceux qui s’y investissent ont vocation à porter leur idéologie au sein des institutions politiques.

Comme cela fut étudié lors du 3e Forum (Lille, septembre 2017 : Cahiers du ForInCIP n° 3 : L’initiative de la loi, LexisNexis, 2018), la loi est la traduction juridique de l’action politique : au-delà des discours, des annonces et des programmes, une réforme se traduit juridiquement par l’adoption d’une loi. Les élus initient des réformes législatives pour mettre en œuvre les programmes électoraux grâce auxquels ils ont accédé à ce statut : ces programmes constituent les bases idéologiques des projets et propositions de loi déposés. Les partis politiques se retrouvent ainsi à l’initiative des réformes législatives, davantage que de la loi elle-même, ce qui est renforcé par le rôle préparatoire qu’ils peuvent exercer, en début de législature : une nouvelle majorité souhaite généralement engager des réformes rapidement, que le Gouvernement n’a pas eu le temps de préparer. La préparation a pu être effectuée par le parti, en amont de l’élection, à la fois dans un dessein pédagogique (expliquer le programme et sa mise en œuvre concrète) et programmatique (permettre cette mise en œuvre rapide).

Paradoxalement, alors que les partis politiques sont cruciaux pour la démocratie, la législation les concernant, en France, est minimale et tardive. Minimale car il n’y a aucune loi leur conférant un statut spécifique et qui réglementerait leur fonctionnement. Cela s’explique par des facteurs convergents : l’absence de nécessité, la volonté de préserver leur liberté (constitutionnellement garantie par l’article 4 de la Constitution), le souhait, également, de ne pas leur conférer un statut qui les renforcerait. Elle est aussi tardive parce qu’il a fallu attendre la loi du 11 mars 1988 puis, surtout, celle du 15 janvier 1990 pour que les partis connaissent un encadrement législatif spécifique, par la voie de la transparence financière et de la limitation des dépenses.

Pour autant, un statut législatif des partis politique légitimerait leur rôle. On peut certes craindre d’une telle loi qu’elle porte atteinte à leur liberté, indispensable dans un État démocratique. Toutefois, la Constitution, qui demeure peu diserte à leur égard (contrairement à la Loi fondamentale allemande, par exemple), garantit précisément qu’ils « concourent à l’expression du suffrage » et qu’ils « se forment et exercent leur activité librement » : une loi qui y contreviendrait, encourrait une censure de la part du Conseil constitutionnel. De plus, une telle loi légitimerait pleinement leur action, renforcerait leur transparence et améliorerait sans doute leur fonctionnement dans la sphère publique et démocratique.
Ces interrogations essentielles seront étudiées lors du 4e ForInCIP, qui se tiendra à l’Université de Lille, du 21 au 23 juin 2018.
En réunissant quinze systèmes juridiques différents (treize systèmes étrangers, européens et extra-européens, ainsi que la France et l’Union européenne en tant que telle), la confrontation des différentes pratiques, réglementations et leurs mises en œuvre sera particulièrement éclairante, alors qu’il est envisagé de réformer la législation française. Cette analyse sera menée selon la méthodologie qui forge désormais l’identité du ForInCIP : la science constitutionnelle, laquelle associe l’étude des normes en vigueur, par des universitaires juristes et politologues, à la mise en œuvre qui en est faite par les acteurs et les institutions, à partir du regard des experts institutionnels (élus et administrateurs).

Seront successivement examinés l’identification, le rôle et le financement des partis politiques. Dans certains pays, la Constitution leur octroie un statut, comme en France, sans que la loi ne vienne, ensuite, le compléter substantiellement. Dans d’autres, la reconnaissance est essentiellement législative. Pourquoi de telles divergences et quelles sont leurs conséquences ? De même, les partis politiques exercent un rôle institutionnel parfois étendu, en ce que tout candidat à une élection doit être affilié à un parti. Surtout, le « système des partis », c’est-à-dire le fonctionnement du régime politique tel qu’il repose sur le rôle des partis politiques, peut emporter des divergences importantes d’un régime à l’autre, alors qu’ils sont censés appartenir à la même catégorie. Comment peut-on expliquer ces différences ? Enfin, nécessaires à la démocratie, les partis sont donc nécessaires à l’État, qui leur octroie des financements, garantissant leur fonctionnement. Mais cela les place également en situation de dépendance vis-à-vis de l’État, impliquant à la fois un contrôle de ce financement et une garantie du respect de leur liberté. Comment les divers États mettent-ils en œuvre ces divers principes ?

Toutes ces questions seront discutées au cours des deux journées du 4e Forum International sur la Constitution et les Institutions politiques, organisé à la Faculté de droit de l’Université de Lille, les 21, 22 et 23 juin 2018.

L’embolie de la démocratie parlementaire

Avec Stéphane Le Foll, Député de la Sarthe nous cosignons une tribune parue dans l’hebdomadaire Marianne le vendredi 18 mai 2018. Nous dénonçons la diminution du nombre de parlementaires et les conséquences qu’elle emporterait sur notre démocratie parlementaire.

Sur notre démocratie, le Gouvernement a faux sur toute la ligne. Il nous promettait une grande réforme, modernisant nos institutions. Celle qu’il nous propose traduit une embolie de la démocratie parlementaire, à travers un projet antiparlementariste.

Plusieurs mesures proposées sont souhaitables et seraient bénéfiques. Mais la suppression de la Cour de justice de la République, la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, l’interdiction du cumul des fonctions ministérielles avec un mandat exécutif local avaient été proposées dès mars 2013.

Les autres mesures font régresser notre démocratie. En particulier, la réduction de 30% du nombre de députés et de sénateurs porterait l’Assemblée nationale et le Sénat à 404 et 244 membres, contre, actuellement, 577 et 348. L’on passerait donc de 925 à 648 parlementaires. Cela placerait la France parmi les démocraties parlementaires ayant un taux de représentativité le plus faible.
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