Dans bientôt un mois auront lieu les élections municipales. Les pronostics sur le grand vainqueur ou le grand perdant du ce scrutin se multiplient. Le PS et l’UMP ne manquent d’arguments pour justifier la victoire de l’un ou de l’autre camp : confirmer le nouveau cap fixé par l’exécutif et valider les réformes menées jusqu’à présent, ou, au contraire, sanctionner la majorité et mettre en cause la responsabilité du Président de la République.
Pourtant, de tels paris sont vains : le scrutin municipal débouchera sur un match nul, entre la majorité et l’opposition. Trois raisons essentielles le justifient.
L’interdiction du cumul entre un mandat parlementaire et un mandat exécutif local revient au Parlement cette semaine, en raison d’un refus exprimé par le Sénat. L’Assemblée nationale pourra passer outre, en statuant définitivement par un vote à la majorité absolue, s’agissant d’une loi organique qui n’est pas exclusivement relative au Sénat puisqu’elle concerne les deux assemblées.
En soutenant la volonté présidentielle, l’Assemblée nationale refuse une solution de compromis, proposée par le Sénat, constitutionnellement possible et justifiée : une interdiction applicable à l’Assemblée mais non au Sénat. Ce compromis offrirait un juste équilibre entre la logique historique, à savoir le cheminement vers l’interdiction totale du cumul, et la logique institutionnelle, c’est-à-dire le maintien d’un cumul encadré.
Selon la logique historique, il faudrait en finir avec le cumul des mandats car il serait la cause d’un absentéisme marquée au Parlement et il aboutirait à des rémunérations cumulées et, donc, inacceptables. Ce sont des idées reçues et fausses. Statistiquement, les parlementaires les plus cumulards ne sont pas les plus absents. Politiquement, un parlementaire ne cumulant plus gardera une attache de terrain dans la circonscription où il est élu et il y restera présent, à l’écoute de ses électeurs. Juridiquement, les rémunérations sont plafonnées et il n’est pas possible de cumuler les traitements de parlementaire et d’élu local dans leur totalité. L’interdiction du cumul pèsera donc davantage sur les finances publiques puisqu’il faudra rémunérer en totalité deux individus là où, actuellement, un individu cumule des rémunérations partielles.
La logique institutionnelle française justifie le cumul. Non pas en raison de la légitimité et de l’ancrage locaux qu’il offrirait, certainement pas pour des raisons historiques d’attachement au cumul. Ce sont là de mauvaises raisons. En revanche, en France, État unitaire, les institutions nationales sont le centre exclusif du pouvoir. La décentralisation a renforcé les pouvoirs locaux, sans leur permettre de s’affirmer pleinement, efficacement et durablement. Le morcellement communal prive les communes d’un poids et d’une initiative politiques. Le cumul des mandats permet ainsi aux collectivités territoriales de bénéficier d’une représentation nationale efficace, en plus d’être effective.
Elle est effective grâce au Sénat, qui les représente. On pourrait douter de son efficacité, le Sénat étant une institution nationale ne réunissant pas, de droit, les élus locaux, mais ceux qu’ils ont élus. Toutefois, de fait, plus de 75 % de sénateurs sont des élus locaux et près de 65 % ont une responsabilité au sein de l’exécutif. L’efficacité de la représentation des collectivités territoriales découle ainsi, également, du cumul des mandats. Le maintenir au profit du seul Sénat est dès lors institutionnellement justifié.
Est-ce, pour autant, constitutionnellement faisable ? Oui, incontestablement. La Constitution instaure un bicamérisme inégalitaire, dans les compétences, la représentativité et l’élection des deux assemblées. L’Assemblée nationale peut avoir le « dernier mot » et elle peut renverser le gouvernement. Toutes deux représentent la Nation mais seul le Sénat représente les collectivités territoriales. L’Assemblée nationale est élue au suffrage universel direct tandis que le Sénat l’est au suffrage indirect. Il en ressort une légitimité différente, plaçant les deux assemblées sur un pied d’inégalité. Là serait le fondement d’un traitement différencié de l’interdiction du cumul des mandats : n’étant pas élues sur les mêmes bases et ne représentant pas les mêmes corps politiques, une réglementation différente des incompatibilités afférentes au mandat ne saurait être inconstitutionnelle.
Enfin, les conditions permettant de déroger au principe d’égalité sont réunies. Celles-ci requièrent l’existence de situations différentes et une inégalité en lien direct avec la loi qui l’instaure. Le bicamérisme inégalitaire est la marque de situations différentes. Un traitement différencié de la limitation du cumul des mandats est en lien direct avec la loi réglementant ce cumul.
Institutionnellement justifiée, constitutionnellement fondée et juridiquement possible, l’interdiction inégalitaire du cumul entre l’Assemblée nationale et le Sénat serait alors une solution politiquement bienfaitrice.
L’élu est le personnage essentiel de la République. Il est le personnage choisi pour la faire fonctionner : sans élus, elle ne fonctionne pas, avec trop d’élus, elle fonctionne mal, avec de mauvais élus, elle ne fonctionne plus. Il est aussi un statut nécessaire au bon fonctionnement de la République : élu, on bénéficie de certaines garanties et l’on est subordonné à certaines obligations, permettant à l’élu d’accomplir efficacement ses missions au sein, pour et au nom de la République. Ces obligations sont actuellement en pleine évolution.
« Bonjour, merci de prendre vos places, de couper vos portables et de fermer les portes du fond, afin que nous puissions reprendre notre cours de droit constitutionnel ».
C’est en ces termes que le Professeur Guy Carcassonne débutait systématiquement son cours, dans l’amphi A du bâtiment F, soit la Faculté de droit de l’Université de Nanterre. La première fois pour moi, c’était le 12 octobre 1998 lorsqu’il entama ce qui fut mon tout premier cours à l’Université. C’était exactement trente ans après sa première rentrée à lui, dans les mêmes locaux, sur les mêmes bancs, malgré « quelques policiers et CRS présents en plus grand nombre ». On peut facilement l’imaginer : 1968 n’était pas une année tout à fait comme les autres, surtout à Nanterre…
Impossible d’oublier ce premier cours, ni tous ceux qui suivirent. Guy Carcassonne, le Professeur, l’enseignant, le pédagogue hors-pair a marqué des générations d’étudiants. Si l’on peut plagier un dialoguiste qu’il aimait tant, on dirait que Guy Carcassonne était un mélange d’anti-conformiste et de brillant juriste, dans des proportions qui restent à déterminer.
Son allure, d’abord, est inoubliable. Viscéralement accroché à son scooter et à son énorme cigare, il descendait d’un pas vif et alerte l’allée de l’amphithéâtre pour accéder à la chaire. Inutile de tenter de l’arrêter, que ce soit pour l’interroger sur un point de cours ou pour lui faire remarquer qu’il portait une chaussette verte et une autre rouge (paire qui n’avait sans doute rien d’original puisque, comme aurait dit Coluche, il en avait une autre chez lui !), ou encore sur sa pince-cravate Mickey : son cours débutait à 13h30, à la seconde près. Guy Carcassonne était iconoclaste, mais il n’en était pas moins rigoureux et précis.
Ce sont d’ailleurs cette rigueur et cette précision qu’il faut surtout retenir. La clarté de ses exposés n’avait d’égales que la finesse et la justesse de ses analyses. Il était ainsi capable d’expliquer clairement et simplement le mécanisme constitutionnel le plus abscons, tout en produisant une véritable analyse engagée des institutions de la Vème République à des étudiants de première année ou en proposant un regard critique et pertinent sur l’actualité. Que ce soit en début, en milieu ou en fin d’année, à la veille ou au lendemain des examens, son amphi était toujours plein à craquer : Si l’on venait s’y réchauffer, c’était alors au seul son de sa voix. Cette voix reconnaissable entre toutes et qui passionnait ses étudiants.
La raison de cette passion qu’il suscitait était simple : Guy Carcassonne aimait les étudiants. Il répétait ainsi fort justement : « Donnez quoi que ce soit aux étudiants et ils vous le rendront au centuple. Donnez-leur haine et mépris, ils vous le rendront au centuple ; donnez-leur amour et considération, ils vous le rendront au centuple ». Et nous l’aimions, évidemment. Il savait comme nul autre transformer cet amour des étudiants en un amour du droit constitutionnel, au point de susciter de véritables vocations.
C’est incontestablement cette expérience de la première année, puis les nombreux échanges que nous avons entretenus qui m’ont conduit à la thèse et au concours d’agrégation. Guy Carcassonne, « Carcasse » comme il se faisait appeler ou « Guitou » comme nous aimions le nommer entre nous, dans l’amphi, fut tout à la fois un maître, un modèle et un ami. Le cours de droit constitutionnel à l’Université de Rouen porte logiquement son empreinte. Il sera désormais assuré en son hommage.