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Pourriture

Dans un système démocratique, nul n’est au-dessus des lois, car la loi est la même pour tous.

Lorsque ce principe est remis en cause, le système politique est « pourri », ou gangréné, bien souvent par la corruption, parfois par la violence ou la tyrannie, si ce n’est par tout cela à la fois.

Deux garanties sont indispensables pour éviter une telle pourriture : l’indépendance de la justice et la liberté de la presse. La première assure qu’il n’y aura ni justice politique (la sanction d’actes en raison de leur nature politique) ni contrôle politique de la justice (le détournement de la justice par le pouvoir politique). La seconde renforce la transparence, alimente le débat public et permet au citoyen de disposer d’un choix éclairé lorsqu’il vote, en empêchant, là encore, que le pouvoir politique n’interfère sur les informations diffusées.

Les exclamations de Jean-Luc Mélenchon, la semaine dernière, contre magistrats et policiers d’abord, Gouvernement et Président de la République ensuite, journalistes enfin, tendent à interroger ces deux garanties. La justice est-elle véritablement indépendante ?, demandent les uns. « J’en suis le garant », répond Emmanuel Macron, ce qui pourrait confirmer que c’est précisément là le problème. La presse est-elle complice du pouvoir ?, demandent les autres. Elle n’est pas là pour pourrir les personnalités politiques, mais pour dénoncer ceux qui pourrissent le monde politique, aurait-elle pu répliquer.

Le fait est qu’à défaut d’être fondées, les questions sont au moins légitimes, au nom de la théorie des apparences : la justice ne doit pas seulement être, elle doit aussi paraître. Cela signifie que les justiciables et le peuple au nom de qui elle est rendue doivent avoir le sentiment qu’elle l’est effectivement, de façon juste et impartiale, en toute indépendance.

Mais sur cette première interrogation, il ne faut pas laisser pourrir notre esprit par des arguments qui ne seraient que vociférés et non justifiés. Monsieur Mélenchon, comme tous ses collègues parlementaires, s’expose à la justice. Cela permet d’ouvrir une enquête préliminaire, dont il fait actuellement l’objet et qui peut donner lieu à des perquisitions, son immunité ne le préservant que des mesures privatives ou restrictives de liberté.

Dans le cadre d’une enquête préliminaire, les perquisitions ont normalement lieu à l’initiative des officiers de police judiciaire ou du procureur de la République, sous la surveillance du procureur général (contrairement à celles se déroulant après une mise en examen, ordonnées par le juge d’instruction). Elles ne peuvent alors être effectuées qu’avec l’assentiment de l’intéressé. Mais l’on sait que les procureurs, en France, sont subordonnés au pouvoir hiérarchique du Ministre de la Justice, ce qui nous a d’ailleurs valu d’être condamnés par la Cour européenne des droits de l’homme et justifierait que l’on s’empresse de réviser la Constitution sur ce sujet.

Cependant, les crimes et délits passibles d’au moins cinq ans d’emprisonnement bénéficient d’une procédure dérogatoire, permettant que la perquisition ait lieu sans l’assentiment de l’intéressé, à la condition qu’elle ait été autorisée par le juge des libertés et de la détention (JLD), qui est, lui, un magistrat du siège (comme le juge d’instruction). Or Jean-Luc Mélenchon est poursuivi, notamment, pour « emploi fictif », c’est-à-dire, dans le code pénal, pour détournement de fonds publics, délit passible de dix ans d’emprisonnement : l’autorisation du JLD a été donnée la semaine précédant la perquisition.

Souffle démocratique

Entre le 23 et le 26 mai 2019, les Européens voteront. Les élections au Parlement européen sont les seules où ils peuvent communément faire entendre leur voix, aucune autre institution de l’Union européenne n’étant élue au suffrage universel direct. Pourtant, ils seront sans doute peu nombreux à se déplacer, ces élections se distinguant par un taux d’abstention record.

C’est paradoxal, car elles présentent un enjeu fondamental, non seulement pour l’Union en tant que telle, mais aussi pour ses États membres, donc les peuples de ces États, donc le peuple européen… si tant est qu’il existe. Or tel est incontestablement le cas dès lors qu’un peuple a d’abord une existence physique – la présence d’individus sur un territoire – et ensuite une existence juridique – être le destinataire de normes communes, qui déterminent ses droits et ses devoirs.

La question de son existence politique soit découle de son existence physique et juridique (parce qu’il a des droits et des devoirs, il existera politiquement en cherchant à influer sur leur contenu), soit la dépasse et touche à l’existence d’une Nation, impliquant une dimension subjective : la volonté de faire partie d’une même collectivité nationale (le « vouloir vivre ensemble » qu’a théorisé Ernest Renan) et le sentiment que cette Nation existe politiquement, c’est-à-dire qu’elle est en mesure d’avoir un impact sur les décisions qui vont la concerner.

C’est précisément ce dernier point qui suscite la plus grande réserve des Européens : ils peinent à cerner l’utilité de leur vote, encore davantage que lors d’élections nationales.

Remanichangement

3, 2, 1… partez !

Délitement au sommet : en à peine seize mois, les trois Ministres d’État du Gouvernement nommé le 17 mai 2017 ont quitté leurs fonctions. Cela, d’ailleurs, dans l’ordre inverse de leur rang protocolaire : d’abord François Bayrou, puis Nicolas Hulot, enfin Gérard Collomb.

Chacun part pour des raisons différentes, mais leurs démissions ont ceci de commun que le chef de l’État s’en serait bien passé. Chacun représentait un pilier de la macronie, mais tous paraissent aujourd’hui prendre leurs distances.

François Bayrou prétendait incarner le centre à lui tout seul, tellement seul qu’il n’est jamais parvenu à franchir le premier tour de l’élection présidentielle. Son soutien à Emmanuel Macron fut néanmoins un gage de crédibilité de cette candidature, tout en lui apportant les voix du centre droit. Il ne fut pas reconduit dans le deuxième Gouvernement d’Édouard Philippe, nommé au lendemain des élections législatives, pour cause de poursuites judiciaires. L’erreur de casting était manifeste : on ne peut imaginer un seul instant que la nomination d’une telle personnalité politique, avec rang de Ministre d’État, ne fut initialement prévue que pour cinq semaines. D’autant plus que François Bayrou a quitté ses fonctions peu après la présentation du projet de loi sur la confiance dans la vie politique, auquel il était particulièrement attaché. Il en nourrira une rancœur certaine à l’égard du Président de la République et le MoDem, sans s’opposer frontalement à La République en marche, s’en détache progressivement. Il ira jusqu’à présenter la candidature de Marc Fesneaux contre celle de Richard Ferrand, candidat de la majorité, lors de l’élection du Président de l’Assemblée nationale, qui a réuni un nombre substantiel de voix.

Nicolas Hulot s’est offert une démission fracassante, en l’annonçant lui-même, en direct, sur France Inter, sans avoir préalablement prévenu ni le Président de la République ni le Premier ministre ni son entourage (d’après ses dires). C’est une première dans l’histoire de la Ve République et un deuxième coup dur (gouvernemental, car il y en a eu d’autres) pour Emmanuel Macron, qui perd son meilleur représentant de ce que l’on appelle habituellement la « société civile » et, surtout, l’une des personnalités préférées des Français. Peu aguerri à la politique mais fin connaisseur du monde médiatique, il ne pouvait pas ignorer l’impact d’une telle démission et de son annonce. Il l’a fait car, dit-il, « je ne veux plus me mentir ». Décodons : le Gouvernement, la politique de la majorité, donc le Président de la République ne sont pas à la hauteur des enjeux et de ses attentes. Fin de l’histoire.

La Ve République a 60 ans : anachronique ou sage ? Débat !

Bon anniversaire, petite sexagénaire !

Pour célébrer le soixantième anniversaire de la Constitution du 4 octobre 1958 – et, accessoirement, le deuxième anniversaire du blog ! –, La Constitution décodée publie un double regard sur la Constitution. L’un en vante les atouts et les mérites, l’autre en souligne les excès et les critiques.

Je remercie mon collègue Paul Alliès, professeur émérite de sciences politiques à l’Université de Montpellier, Président de la Convention pour la 6e République, de s’être associé à cette initiative conjointe de La Constitution décodée et de L’Hétairie. Ce double regard est publié simultanément ici, sur le site de L’Hétairie et sur Médiapart.

Sage Ve République, par Jean-Philippe Derosier

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