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Chronique de droit constitutionnel comparé 2023
Parution de la chronique annuelle de Droit constitutionnel comparé européen à la Revue du Droit de l'Union européenne (2024-1).
Cette édition 2023 de la chronique de droit constitutionnel comparé européen illustre des évolutions qu’ont connues certaines démocraties européennes lors de l’année écoulée. Ces évolutions, loin de constituer des révolutions pour autant, marquent une adaptation du système constitutionnel attendue par les citoyens, ayant exprimé leur voix lors d’élections qui ont impulsé ou qui sont liées à ces évolutions. Elles s’inscrivent dans un processus démocratique, qu’elles ont pour ambition de renforcer, mais qu’elles pourraient cependant altérer. C’est là le paradoxe : ce qui est parfois souhaité – ou paraît l’être – par les citoyens va finalement les desservir et jouer non seulement contre leur intérêt collectif, mais aussi contre leurs droits et libertés. Tel est ce qui anime généralement les mouvements populistes, qui ont souvent tendance à faire fi du droit les empêchant de mener à bien leur projet, en se prévalant d’une légitimité du peuple, qui ne s’exprime ainsi qu’en raison des manipulations dont il est l’objet, n’étant pas pleinement éclairé quant aux intentions et au caractère illégal, illibéral et anticonstitutionnel de ces procédés.
À cet égard, une institution spécifique a un rôle fondamental à jouer : le juge, en particulier le juge constitutionnel, chargé de veiller au respect du droit, de préserver l’État de droit et de garantir que l’évolution de l’état du droit opère dans le respect de l’État de droit. Lorsque l’institution qu’est le juge est elle-même attaquée, manipulée, voire altérée, la démocratie est alors sérieusement en danger. Plusieurs événements, pour certains précédemment évoqués dans cette « Chronique », l’ont déjà souligné, notamment en Pologne, voire en Roumanie. Le fondement même de la démocratie et sa pérennité supposent ainsi l’existence d’un juge suffisamment solide pour veiller sur elle à tout instant et à tous égards : c’est ce qui assure que les évolutions envisagées ne lui seront pas nuisibles. Gageons que ce sera bien le cas de celles qui ont été amorcées en 2023 et qui sont étudiées ici.
Le Luxembourg connaît désormais une nouvelle Constitution... qui date de 1868 ! En effet, la Constitution historique a été modifiée en profondeur pour faire évoluer cette monarchie constitutionnelle et renforcer son caractère démocratique. La révision s’est ainsi attachée à limiter les pouvoirs du Grand-Duc et à renforcer d’autant ceux du Parlement. Le premier est restreint au seul pouvoir exécutif, qui n’est d’ailleurs que formel, privé ainsi de ses prérogatives dans le domaine législatif (suppression du pouvoir de sanction des lois) ou dans le domaine judiciaire (la justice n’est plus rendue en son nom). Le second est confirmé comme premier pouvoir du pays, voyant notamment ses moyens de contrôle renforcés et disposant désormais du pouvoir de révoquer le Grand-Duc (Luxembourg : La nouvelle Constitution de 1868, par Léa Mortelette).
Alors que l’Italie a vu la victoire, en 2022, d’un parti populiste, la Présidente du Conseil a entamé la révision constitutionnelle qu’elle avait promise, non sans la corriger. L’objet initial était d’offrir aux Italiens la possibilité d’élire directement le Président de la République. Désormais, ce n’est plus le chef de l’État, mais le chef du Gouvernement qui serait directement élu, afin d’en renforcer la légitimité et de le rendre moins tributaire du soutien parlementaire. Pour autant, une telle réforme laisse craindre de sérieuses dérives autoritaires. Là où la Ve République permet au peuple de dési- gner le chef politique de la Nation, en le contraignant toutefois à composer avec un Parlement et une Assemblée nationale dont il a besoin du soutien pour mener toute politique conduite par le Premier ministre, la réforme italienne risque de supprimer toute possibilité de contre-pouvoir, qu’il soit présidentiel ou parlementaire. En effet, le Président de la République, élu par le Parlement, pourra difficilement s’opposer au chef du Gouvernement, élu du peuple, tandis que les deux assemblées seront nécessairement majoritaires, grâce à la prime accordée automatiquement au parti du Président du Conseil, élu par le peuple. Seuls les Italiens eux-mêmes, s’ils restent suffisamment fidèles et attachés au système constitutionnel qui est le leur depuis bientôt quatre-vingts ans, pourront mettre en échec ce projet, en le rejetant par référendum (Italie : La réforme constitutionnelle Meloni ou la IIIe République, « mère(s) de toutes les réformes » ?, par Beverley Toudic).
Ce fut une année doublement électorale en Grèce, car deux élections législatives ont été organisées, la première n’ayant pas permis de dégager une majorité suffisante pour former un Gouvernement. Alors que l’un des dirigeants du parti d’extrême droite Aube dorée était emprisonné et que ledit parti avait été condamné et qualifié d’« organisation criminelle » en 2020, la personnalité du premier et l’idéologie du second ont continué d’influer sur le scrutin, par le soutien apporté par ce dirigeant à d’autres formations politiques. Si la liberté d’expression est une garantie du pluralisme démocratique et requiert d’être particulièrement garantie, elle ne saurait permettre de mettre la démocratie gravement en danger, justifiant que des mesures puissent être prises pour la préserver (Grèce : L’invincible droite nationaliste, par Laure de Galbert).
En Espagne, les élections provoquées par Pedro Sánchez, Premier ministre sortant, lui ont permis de conserver le pouvoir, non sans faire évoluer sa propre majorité. Son parti ne dispose pas d’une majorité suffisante pour gouverner seul et l’on aurait pu craindre que le parti populaire, arrivé en tête mais sans majorité absolue, conclue une alliance avec Vox, parti d’extrême droite, pour construire un Gouvernement. Tel ne fut pas le cas. Mais Sánchez a noué un accord avec les indé- pendantistes catalans, qui sont pourtant poursuivis pour avoir mis l’ordre constitutionnel espagnol en danger. Un tel accord n’a pu être finalisé qu’au prix de la promesse d’une loi d’amnistie, qui, certes, empêche aujourd’hui l’extrême droite d’accéder au pouvoir, mais vient pardonner une action pourtant impardonnable pour de nombreux Espagnols. Le Tribunal constitutionnel pourra toutefois être le rempart face à des promesses intenables car rien n’assure qu’il valide une telle loi d’amnistie (Espagne : La loi d’amnistie, reflet involontaire des tensions et de l’équilibre des pouvoirs du système constitutionnel post-franquiste, par Romain Lampin).
La Pologne a également connu des élections, qui ont marqué le retour d’une politique modérée, respectueuse de l’État de droit. Plusieurs scrutins étaient organisés le même jour : quatre référendums et les élections des deux assemblées parlementaires, les premiers devant permettre une forte mobilisation des partisans du parti Droit et Justice (PiS) alors au pouvoir pour leur assurer une victoire dans les secondes. Or cette tentative de manipulation a connu un cuisant échec, puisque la participation aux référendums fut insuffisante pour les rendre décisionnels, tandis que la mobilisation des électeurs pour les élections parlementaires fut bien plus importante, permettant la victoire de Donald Tusk, ancien Premier ministre et Président du Conseil européen : de quoi augurer un retour de la Pologne parmi les États respectueux du droit de l’Union européenne (Pologne : Le « Non » sonne le glas d’une politique ultranationaliste, par Mathilde Chavatte).
Enfin, une élection législative a été provoquée en Slovaquie, mettant un terme à une crise institutionnelle qui avait débuté en 2022 et qui n’a pu être résolue qu’après une révision constitutionnelle, permettant au Parlement slovaque de décider de sa propre dissolution. Cette élection a eu lieu le 30 septembre 2023, soit après l’entrée en vigueur (partielle) du Règlement européen sur les services numériques, encadrant la circulation des contenus sur les réseaux sociaux : elle en a ainsi permis une première application, donc une première évaluation, qui révèle la place centrale que ce Règlement confie aux plateformes elles-mêmes, ainsi qu’aux autorités de l’Union européenne qui auront toutes à charge de veiller au respect de la liberté d’expression, non sans risque (Slovaquie : Une élection légis- lative anticipée à l’épreuve du Règlement européen sur les services numériques, par Mélissa Coulibaly).
Retrouvez cette chronique en ligne (accessible sur abonnement) dans la Revue du droit de l'Union européenne, 2024/1, de avril 2024.