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Chronique de droits fondamentaux et libertés publiques n°11
Seules cinq décisions ont été rendues au cours du premier semestre 2023, dans le cadre du contrôle a priori, mais parmi elles figure incontestablement celle qui a le plus exposé le Conseil constitutionnel de toute son histoire. Jamais n'avait-il fait l'objet d'une telle attente ni subi une telle pression, qui agitaient la rue, le contraignant à ériger des barricades aux abords de la rue de Montpensier, ou s'agitaient dans les colonnes de la presse généraliste, alimentées par des plaidoyers d'experts qui parlèrent beaucoup, pour soutenir la nécessaire inconstitutionnalité de la loi examinée. Pour autant, de façon peu surprenante mais décevante, le Conseil constitutionnel a retenu que l'essentiel de la loi portant réforme des retraites était conforme à la Constitution, alors même qu'il s'agissait d'une loi de financement rectificative de la sécurité sociale. Ces interpellations, bien inutiles dans leurs effets, présentent le désagréable inconvénient d'en appeler à l'opinion publique pour espérer influer sur un office qui suppose pourtant, pour être convenablement accompli, sérénité et impartialité.
Soucieux de s'appliquer à soi-même ce que l'on enseigne dans les facultés, à savoir qu'une décision de justice ne s'annonce pas mais se commente, le temps est désormais venu de livrer ici une analyse de trois décisions qui, si elles ne concernent pas les droits fondamentaux et libertés publiques au premier chef, constituent des précédents jurisprudentiels suffisamment forts pour qu'un commentaire leur soit réservé dans ces pages adressées à la doctrine spécialisée. Car le travail du Conseil à l'égard de la réforme des retraites ne s'est pas cantonné à l'examen de la constitutionnalité de la seule loi qui l'a réalisée, dont la décision apparaît décevante car peu ambitieuse (décision n° 2023-849 DC du 14 avril 2023), mais fut étendu à celui de la recevabilité de deux propositions de loi RIP destinées à s'y opposer, dont les décisions sont, quant à elles, surprenantes car bien restrictives (décisions n° 2023-4 RIP du 14 avril 2023 et n° 2023-5 RIP du 03 mai 2023).
En matière de QPC, le Conseil a été confronté pour la première fois depuis l'entrée en vigueur de la procédure, à une pénurie de renvoi de la part des deux juridictions suprêmes sur le premier semestre 2023. Il est sans doute trop tôt pour en tirer des conclusions mais si le nombre n'était pas là (24 décisions QPC), certaines des décisions n'en demeurent pas moins originales et intéressantes à la fois en raison des acteurs en présence et des sujets sur lesquels le Conseil constitutionnel a été amené à se pencher à cette occasion.
C'est le cas de la QPC portée par l'actuel ministre de la Justice (décision n° 2023-1046 QPC du 21 avril 2023 M. Éric D.), véritable coup d'épée dans l'eau, destiné sans doute à retarder le procès devant la CJR (qui s'est ouvert cette semaine), mais qui souligne certaines des faiblesses du filtrage des QPC et repose la question de la composition du Conseil constitutionnel. C'est aussi le cas de la décision relative à l'indétermination de la durée de la détention provisoire d’un accusé en cas de renvoi d’audience par la cour d’assises (décision n° 2023-1056 QPC du 7 juillet 2023 M. Abdelhalim R.) où le Conseil a manqué d'audace et d'anticipation en s'abstenant d'affirmer le degré de protection a minima équivalent accordé par notre corpus constitutionnel aux droits et libertés individuels, avec celui offert au niveau européen.