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Chronique de droit constitutionnel comparé 2022
Parution de la chronique annuelle de Droit constitutionnel comparé européen à la Revue du Droit de l'Union européenne (2023-1).
2022 est une année de bouleversements et la sixième édition de cette chronique de droit constitutionnel comparé européen en retranscrira quelques-uns1. Si les pays et les populations d’Europe et du monde purent progressivement recouvrer une vie normale après la fin de la pandémie mondiale, c’est un nouvel événement d’ampleur internationale qui vint bouleverser les équilibres mondiaux, le 24 février, lorsque la Russie envahit l’Ukraine. Ce conflit européen à l’impact international rappelle malheureusement que notre territoire n’est pas épargné par la guerre, laquelle n’est pas « à la porte de l’Europe », comme on le lit parfois, mais bien en Europe. Il rappelle également que la paix et la démocratie ne sont jamais un acquis, mais un objectif qu’il faut continuellement préserver et garantir.
Sur un autre continent, un autre bouleversement souligne précisément qu’en menant bataille pour la démocratie et pour les droits, la victoire de la première peut assurer la garantie des seconds. L’élection de Lula contre Bolsonaro au Brésil, le 30 octobre, est ainsi constitutive d’un changement radical de l’équilibre politique dans ce pays et, plus largement, sur le continent latino-américain, susceptible d’emporter des conséquences mondiales, tant le rôle et la place du Brésil sur le plan économique et écologique sont essentiels pour la planète. Si la démocratie et les droits ne sont donc jamais un acquis, le combat pour les préserver et les garantir peut apporter des résultats.
Les deux bouleversements qui viennent d’être brièvement rappelés partagent un point commun : la place centrale du droit. D’une part, la gravité de la crise en Europe n’a d’égale que l’importance des droits bafoués, de la remise en cause de la souveraineté d’un État à l’atteinte aux règles les plus fondamentales du droit international. D’autre part, la préservation du et des droits a permis une évolution politique au Brésil, en faisant respecter les règles démocratiques et électorales, permettant de lutter efficacement contre la désinformation et de garantir la sincérité d’un scrutin, pourtant contestée par le pouvoir alors en place. S’il fallait donc s’en convaincre, c’est bien le respect du droit qui permet de préserver la paix et de garantir la démocratie.
Au Royaume-Uni, un double bouleversement a marqué l’Europe et son histoire : la même année, la Reine Elizabeth II est entrée une nouvelle fois dans l’histoire en célébrant le soixante-dixième anniversaire de son règne, puis en décédant quelques mois plus tard. Les règles de dévolution de la Couronne sont clairement établies, ce qui n’a pas interdit de les moderniser en 2015 pour renforcer « l’égalité femme – homme » et permettre que la primogéniture, quel que soit son genre, puisse accéder au trône. Toutefois, la stabilité de cette Couronne pourrait être atteinte, au-delà de la seule succession au trône, tant la disparition d’Elizabeth II fait planer un doute quant au maintien de la cohésion du Commonwealth et de ses Royaumes (rappelons que le Roi d’Angleterre est formelle- ment le chef de quatorze autres États), mais aussi du Royaume-(dés)Uni lui-même, eu égard aux fortes volontés indépendantistes de l’Écosse (Royaume-Uni : L’après Elizabeth II ou la monarchie du Royaume désuni, par Lucile Gonot).
Le Royaume-Uni n’est pas en reste, en 2022, car à ce double bouleversement au sommet de l’État répond un double bouleversement au sommet du Gouvernement : 10 Downing Street fut confronté à deux changements de Premier ministre en à peine quelques semaines. D’abord, Liz Truss succéda à Boris Johnson, le 6 septembre, puis, 49 jours plus tard, Rishi Sunak succéda lui-même à Liz Truss, le 25 octobre, faisant de cette dernière l’une des Premières ministres les plus éphémères de toute l’his- toire britannique. Cette crise ministérielle rappelle le lien fusionnel qui existe entre les fonctions de chef de Gouvernement et de chef de la majorité, c’est-à-dire de leader du parti majoritaire. Avant son départ, Boris Johnson fit voter une loi permettant au Premier ministre de recouvrer un droit que le Fixed Term Parliament Act lui avait retiré en 2011 et qui est un outil essentiel de discipline de cette majorité : le droit discrétionnaire de dissolution (Royaume-Uni : Valse ministérielle et réforme du droit de dissolution : le Premier ministre (un peu) à l’abri du juge, pas du parti, par Mélissa Coulibaly).
La victoire aux élections italiennes de Fratelli d’Italia marque un nouvel épisode de bouleversement ministériel en Italie. L’arrivée au pouvoir de Giorgia Meloni, qui ne cachait pas son admiration pour Mussolini étant jeune, suscite un émoi justifé et appelle à la vigilance, comme en témoignent les premières mesures qu’elle a pu prendre, destinées à restreindre substantiellement certains droits fondamentaux. Cette victoire rappelle également à quel point l’opposition d’un jour a vocation à devenir la majorité du lendemain : Fratelli d’Italia est le seul parti qui avait refusé d’entrer dans la coalition d’union nationale emmenée par Mario Draghi. Désormais, Meloni entend entreprendre une révision constitutionnelle qui, loin de rendre le régime plus démocratique et populaire, risque de le convertir au populisme. Pourtant, des remparts existent, les constituants de 1946 ayant bien à l’esprit les dérives auxquelles le fascisme peut donner lieu et la procédure de révision constitution- nelle qu’ils imaginèrent est suffisamment rigide pour éviter une instrumentalisation par le pouvoir en place... à moins que le pouvoir en place lui-même ne parvienne à suffisamment instrumentaliser le peuple (Italie : Le gouvernement Meloni ou l’illustration des vertus d’un socle constitutionnel comme rempart à l’autoritarisme, par Beverley Toudic).
Les dérives populistes ont déjà pu conduire à une révision constitutionnelle en Hongrie. Viktor Orbán, qui se distingue par une lecture très personnelle des droits fondamentaux qu’on a déjà pu évoquer, a encore obtenu un renforcement de son pouvoir, en révisant la Constitution pour créer un nouveau régime d’exception. Ce dernier, qualifié d’« état de danger », est destiné à répondre aux cas de conflit armé, de guerre ou de catastrophe humanitaire dans un pays voisin et il fut intro- duit au moment où l’état d’exception lié à la crise sanitaire devait venir à expiration. Au gré des aléas politiques, le Premier ministre hongrois trouve le moindre prétexte pour renforcer un pou- voir toujours plus exceptionnel, tant par son nom, que par sa durée et l’étendue de ses prérogatives (Hongrie : un « état de danger » permanent ?, par Laure de Galbert).
Enfin, le bouleversement suscité par la décision de la Cour suprême des États-Unis du 24 juin qui revient sur l’arrêt Roe v. Wade et sur le droit à l’avortement n’est pas resté sans conséquence en Europe. Hasard du calendrier, le jour où la Cour suprême rendait son arrêt, une loi a été adoptéeen Allemagne, destinée à assouplir la législation relative à l’interruption volontaire de grossesse. Le Bundestag a ainsi mis fin à une mesure héritée de l’ère nazie et qui punissait d’emprisonnement toute publicité sur l’avortement. Malgré cette avancée, le recours à l’avortement y reste strictement encadré, tant les obstacles législatifs sont nombreux pour permettre à la femme de pleinement bénéficier de la liberté de disposer de son corps (Allemagne : le Bundestag libéralise la législation sur l’avortement sans toutefois le légaliser, par Léa Mortelette).