Chronique de droits fondamentaux et libertés publiques n°10


Le début de la XVIe Législature s’est doublement distingué par une session extraordinaire de juillet qui déborda jusqu’au 5 août et l’absence de session extraordinaire en septembre. Il faut ainsi remonter à 2006 pour que le Parlement ne soit convoqué qu’une seule fois en session extraordinaire et à 2005 pour qu’il ne siège pas en septembre. L’activité du Conseil constitutionnel en matière de contrôle a priori en fut évidemment impactée puisque 2022 est ainsi l’année où les décisions (13 au total) furent les moins nombreuses depuis 2008 et que seules sept décisions furent rendues sur la période, aucune entre le 13 août et le 15 décembre.

Cette période a également été marquée par l’entrée en vigueur du Règlement intérieur pour ce type de contrôle, emportant certains effets visibles, telle la publication des saisines dès leur enregistrement. De plus, les décisions sont enrichies de plusieurs types d’observations, contribuant à renforcer toujours davantage le principe du contradictoire et le caractère juridictionnel du Conseil. 

Les deux textes financiers sont également les premiers, depuis la révision constitutionnelle de 2008, à avoir été adoptés grâce à l’article 49, alinéa 3 de la Constitution, ce qui a permis au Conseil constitutionnel de confirmer que cette révision « n’a pas modifié les conditions dans lesquelles la responsabilité du Gouvernement peut être engagée sur le vote d’une loi de finances ou d’une loi de financement de la Sécurité sociale ». La restriction introduite par cette réforme n’est donc que quantitative, limitant le nombre de textes sur lesquels la responsabilité du Gouvernement peut être engagée. 

Cette Chronique s’attache enfin à analyser deux autres décisions, concernant l’altération de l’indépendance des médias publics avec la suppression de la contribution pour l’audiovisuel public (décision n° 2022-842 DC du 12 août 2022, Loi de finances rectificatives pour 2022) et une préservation constitutionnelle de l’environnement à l’égard des générations futures (décision n° 2022-843 DC du 12 août 2022, Loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat). 

La suppression de la CAP soulevait un enjeu constitutionnel, en ce qu’elle constituait la source quasi exclusive de financement des six sociétés qui composent l’audiovisuel public, pouvant donc altérer leur indépendance et, ainsi, porter atteinte à la libre communication des idées et des opinions.

Par ailleurs, la loi sur le pouvoir d’achat comportait de nombreuses dispositions mais l’une d’entre elles a permis, sans justifier une censure mais seulement des réserves, de faire évoluer la jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière de protection de l’environnement. Le Conseil constitutionnel s’appuie sur une exigence de la Charte de l'environnement pour en identifier un nouvel effet : la capacité des générations futures à satisfaire ses propres besoins.

Parmi les décisions QPC rendues par le Conseil au cours du second semestre 2022, deux ont tout particulièrement retenu notre attention compte tenu des enjeux tant juridiques que pratiques qui les caractérisaient. La première (2022-1010 QPC du 22 septembre 2022, M. Mounir S.), soulevée à l'occasion d'une affaire de blanchiment d’argent, a conduit le Conseil constitutionnel à invalider un dispositif législatif ancien (1948) et archaïque, néanmoins essentiel à l'exercice des missions régaliennes réalisées par les agents des douanes : le Droit de visite. Bien qu'ayant différé l'invalidation du dispositif législatif au nom des « conséquences manifestement excessives » d’une remise en cause immédiate, sa remise en cause immédiate demeure possible à l'encontre des mesures individuelles de contrôle douanier devant le juge judiciaire sur la base des articles 5 et 6 de la CESDH, ce qui renforce la nécessité d'une meilleure articulation entre les deux types de contrôles.

La seconde décision 2022-1025 (QPC du 25 novembre 2022 Mme Anrifati A.), a amené le Conseil à valider un dispositif législatif permettant l'extension des contrôles d’identité « sur l’ensemble du territoire », sous couvert des particularités de Mayotte. Cela conduit, en dépit d'une réserve d'interprétation assez peu opérationnelle relative aux conditions matérielles de réalisation de ces contrôles, à une sorte de confusion entre régime d’adaptation (fondé sur l'article 73 C. relatif aux DROM) et régime d’exception dont nous pensions être sortis en même temps que de la crise sanitaire. Nul doute que la performance publique des services du ministère de l'Intérieur et les chiffres des mesures de reconduite à la frontière en sortiront gagnants. L'Etat de droit quant à lui en sort sans aucun doute affaibli, ainsi que la promesse d'égalité de traitement attachée à la transformation de Mayotte en DOM en 2011.

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