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Chronique de droit constitutionnel comparé 2021
Parution de la chronique annuelle de Droit constitutionnel comparé européen à la Revue du Droit de l'Union européenne (2022-1).
L’édition 2021 de la chronique de droit constitutionnel comparé européen – cinquième du genre est marquée par cette volonté qui anime l’ensemble des pays et des populations d’Europe (et du monde) : tourner la page et recouvrer, autant que possible, une vie normale. La pandémie mondiale a assurément bouleversé nos modes de vie, au quotidien mais aussi dans le fonctionnement de nos sociétés démocratiques. Pouvions-nous imaginer, il y a encore tout juste deux ans, que la parole politique s’exprimerait masquée, que les campagnes électorales seraient encadrées, que l’accès aux transports longue distance, aux restaurants ou autres lieux de culture serait réservé aux personnes vaccinées, que la protection de la santé deviendrait un des principes constitutionnels cardinaux de nos droits, justifiant la limitation de la plupart des autres droits et libertés constitutionnellement garantis ? Les juristes que nous sommes auraient clamé la violation de l’État de droit. À raison. Mais c’est pourtant ce qui arriva.
Des mesures exceptionnelles ont été prises, qui ne sont acceptables qu’en raison de ce caractère exceptionnel, donc temporaire et circonscrit. Nul ne saurait se satisfaire, dans la durée ou, pis, dans la pérennité, de restrictions à nos libertés les plus fondamentales : liberté d’expression, liberté d’aller et venir, respect de la vie privée. C’est pourquoi à l’immunité collective face au virus doit correspondre une vigilance collective face à nos droits restreints, la première destinée à éradiquer la maladie et la seconde, à éradiquer ces restrictions. Pour cela, l’exception ne saurait devenir la règle mais la sortie d’un état de crise réclame parfois un effort ultime, pour tourner effectivement cette page. Nul ne sait – et certainement pas le juriste si nous y sommes désormais parvenus, mais les analyses que l’on peut développer viendront nourrir cette réflexion collective destinée à trouver l’équilibre nécessaire entre le rétablissement de « l’état normal » par la garantie de tous nos droits et les mesures contraignantes, destinées à préserver l’objectif de protection de la santé.
En Espagne, la gestion de la crise elle-même a connu des vicissitudes, au nom de la préservation de l’ordre constitutionnel. Alors que la Constitution permet d’envisager trois types de régime d’exception (état d’alerte, état d’exception et état de siège) et que le Gouvernement avait retenu celui de « l’état d’alerte », le Tribunal constitutionnel l’a déclaré partiellement inconstitutionnel, dans ses dispositions qui prévoyaient le confinement de la population. En effet, ce régime ne permet que de restreindre ou de limiter des droits et libertés constitutionnellement garantis, non de les suspendre, alors qu’un tel confinement n’avait d’autre effet, selon le Tribunal, que de suspendre la liberté d’aller et venir. À l’inverse, des mesures de couvre-feu s’apparentent bien à une limitation ou une restriction, mais ne peuvent avoir une durée prolongée (Espagne : L’état d’alerte sanitaire déclaré inconstitutionnel, par Laure de Galbert).
En Autriche, alors que le Gouvernement et la majorité au pouvoir furent confrontés à une crise politique interne et qu’il s’agissait de l’un des pays européens les plus exposés au virus et les moins vaccinés, la décision fut prise de rendre la vaccination obligatoire. Si, en France, le Conseil constitutionnel en a admis la constitutionnalité en 2015 à l’égard de vaccins différents de ceux destinés à lutter contre le Covid-192, les modalités retenues en Autriche pourraient engendrer l’inconstitutionnalité du dispositif eu égard à sa durée et sa sévérité (Autriche : La gestion de la crise sanitaire et l’introduction de l’obligation vaccinale, par Mélissa Coulibaly).
Tourner la page n’est pas exclusivement lié à la crise sanitaire que nous traversons, ce qui montre que cette dernière n’occupe plus l’essentiel des préoccupations, même juridiques. Ainsi, en Allemagne, Angela Merkel a quitté le pouvoir, après seize ans d’exercice des fonctions de Chancelière. Sans battre le record de longévité (détenu, à ce jour, par Helmut Kohl, qui la dépasse de... dix jours !), elle a incarné, depuis 2005, la stabilité du pouvoir en Europe, où rares sont les chefs de Gouvernement (ou d’État, comme en France) qui parviennent à se maintenir plus de dix ans au pouvoir. Le système électoral l’a contrainte à deux reprises à de « grandes coalitions » (avec les socio-démocrates), engendrant l’affaiblissement de son propre parti ou le renforcement de l’extrême droite (Allemagne : « Au revoir, Mutti », ou l’exceptionnelle longévité politique d’Angela Merkel, par Lucile Gonot).
En Pologne, en revanche, la page de la crise engendrée avec l’Union européenne n’est pas encore tournée. Par un arrêt du Tribunal constitutionnel, elle a même eu tendance à s’intensifier, la Pologne faisant prévaloir sa Constitution sur les principes européens. Si, en soi, ce n’est rien de surprenant, tant on peut retrouver des jurisprudences assez similaires en Allemagne, en Italie, en France et, en réalité, dans la quasi-totalité des États membres, l’application concrète conduit à une intensification des tensions liées à la volonté du Gouvernement polonais d’exercer un contrôle politique sur les juges, ce que condamne la Commission européenne (Pologne : L’intensification de la crise de l’État de droit, par Arnaud Ménard).
De même, en Espagne, l’élection des membres du Conseil général du pouvoir judiciaire (CGPJ, l’équivalent du Conseil supérieur de la magistrature en France) soulève des difficultés insurmontées à ce jour, ravivant le débat sur les modalités de nomination des juges et sur l’intérêt d’y associer le Parlement. Si ce dernier doit voter et qu’une majorité qualifiée est imposée afin d’éviter des nominations partisanes, le blocage est possible et il n’est souvent évité qu’en en appelant à la logique, rarement à la sagesse : les opposants politiques se mettent d’accord pour se répartir lesdites nominations, qui redeviennent donc partisanes. A contrario, les nominations directes et personnelles (comme en France), souvent décriées, ont ce bienfait (parfois relatif) que l’autorité de nomination demeure libre, tout en ayant des comptes à rendre devant les électeurs qui l’ont élue : la nomination engage bien davantage le nommant que le nommé (Espagne : Le mode de nomination des juges à l’origine d’un grave dysfonctionnement institutionnel, par Léa Mortelette).
En Suisse, il aura fallu sept ans pour que la loi autorisant le mariage aux couples homosexuels puisse voir le jour, par référendum. Elle est l’illustration de la démocratie de concordance, ou consociative dans laquelle le peuple est en mesure de demander qu’un référendum soit organisé après qu’une loi a été adoptée au Parlement, demande généralement motivée par une opposition à la loi. Cette fois, la loi fut approuvée à une large majorité (Suisse : L’adoption du mariage pour tous, l’illustration des vertus et risques de la démocratie consociative, par Beverley Toudic).
En Italie, enfin, davantage qu’une page qui se tourne, c’est une nouvelle page qui s’écrira : avec la possibilité de recueillir les soutiens citoyens à un référendum d’initiative populaire par voie numérique, le recours à cet instrument se retrouve facilité. Les initiatives étant susceptibles de se multiplier, la question se pose alors de la concurrence ou de la complémentarité entre la démocratie directe et la démocratie représentative (Italie : La signature électronique pour les référendums, ou le premier pas vers une « digitalisation » de la démocratie ?, par Chiara Spiniello).
Retrouvez cette chronique en ligne (accessible sur abonnement) dans la Revue du droit de l'Union européenne, 2022/1, du 25 avril 2022.