Faut-il dissocier les élections législatives de l’élection présidentielle ?



La Constitution décodée publie un débat paru dans Le Drenche, « Faut-il dissocier les élections législatives de l'élection présidentielle ? », où vous pouvez d’ailleurs voter et retrouver le contexte de ce sujet d’actualité.

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Contre, par Jean-Philippe Derosier

Organiser l’élection présidentielle et les élections législatives le même jour renforcerait la légitimité démocratique des députés, donc conforterait la nature parlementaire de notre régime.

Depuis l’introduction du quinquennat par la révision constitutionnelle de 2000 et le rétablissement du calendrier électoral qu’elle impliqua, l’élection présidentielle a lieu quelques semaines avant les élections législatives, la première engendrant un effet d’entraînement sur les secondes, ce qui est supposé permettre au Président élu d’obtenir la majorité dont il a besoin pour gouverner.

La logique institutionnelle de la Ve République s’appuie sur un chef politique de la Nation

On souligne que le calendrier a bien été rétabli et non inversé, contrairement à ce qui est dit fréquemment, puisque la réforme de 2000 devait déboucher sur un calendrier où les élections législatives précédaient l’élection présidentielle, alors que tant la logique de notre régime que son histoire montrent qu’il n’en a jamais été ainsi. La logique institutionnelle de la Ve République s’appuie sur un chef politique de la Nation élu au suffrage universel direct, le Président de la République, auquel est confiée une majorité pour gouverner, celle-ci pouvant être absolue et inconditionnelle, absolue mais conditionnelle (coalisée) ou seulement relative, comme c’est le cas en 2022. L’histoire de notre régime montre qu’il en a toujours été ainsi : dès lors que les élections du Président et de l’Assemblée nationale étaient connectées dans le temps, on procédait toujours dans cet ordre.

Il est vrai, cependant, que la légitimité des députés est largement issue de celle du Président, envers lequel ils se sentent alors redevables. Sans remettre en cause cette connexion, qui n’est certainement pas maléfique pour l’équilibre démocratique, mais qui peut être atténuée comme en 2022, une élection du Président et des députés le même jour permettrait de renforcer la légitimité propre des seconds, sans écorcher celle du premier. On y voit un triple avantage.

D’abord, si la cohérence de l’électeur le conduira assez logiquement à voter pour un candidat aux législatives de même couleur politique que le candidat à la présidentielle qu’il a choisi, il pourra parfaitement nuancer son vote sans être influencé par le résultat d’une première élection naturellement déterminante. Ainsi, le fait majoritaire ne disparaîtra pas, mais la vague sera contenue. En 2017, par exemple, rien ne garantit qu’Emmanuel Macron aurait obtenu la même majorité si une telle hypothèse avait été mise en place. De même, lorsqu’il faut composer une coalition majoritaire, comme en 2022, la Constitution de 1958 rappelle qu’elle est conçue pour la supporter, ce que confirme son histoire.

La concentration électorale favorisera la participation

Ensuite, sans cette influence du résultat de l’élection présidentielle sur les élections législatives, les députés tireront toujours leur légitimité en partie du Président qui les aura conduits à la victoire, mais le choix de l’électeur sera plus libre et les seconds pourront également se prévaloir d’avoir directement contribué à la victoire du premier.

Enfin, la concentration électorale favorisera la participation, tout en mettant définitivement un terme à cette idée que les élections législatives seraient secondaires. En votant le même jour, l’électeur ne se déplacera qu’une seule fois et l’on comptera globalement autant de votants pour le Président de la République que pour les députés, renforçant une nouvelle fois la légitimité de ces derniers.

Ajoutons qu’un tel alignement des élections législatives sur l’élection présidentielle permettrait que toute fin anticipée et inopinée du mandat présidentiel enclenche, de droit, des élections législatives. Il suffirait alors de prévoir que toute démission, destitution ou décès d’un Président en exercice emporte mécaniquement la dissolution de l’Assemblée nationale, dont les élections se tiendraient alors en même temps que l’élection présidentielle. En revanche, la réciproque ne vaudrait pas et cet alignement ne priverait pas le Président de la République de son droit de dissolution, car il lui serait toujours loisible d’y recourir, en cours de mandat, pour discipliner ou sanctionner la majorité. Pour synchroniser à nouveau les deux élections, il faudrait alors prévoir que l’Assemblée ainsi réélue ne le serait que pour la durée du mandat présidentiel restant à courir.

Une telle réforme ne présidentialiserait pas davantage notre régime, au contraire : elle contribuerait à limiter l’impact d’une élection sur les autres, en renforçant la légitimité propre des députés.



Pour, par Yves-Marie Cann

Un constat s’impose : 57% des Français (Baromètre de la confiance politique Opinion Way / Cevipof, janvier 2022) jugent que la démocratie ne fonctionne pas bien dans notre pays ; l’abstention atteint des niveaux inédits aux élections locales comme aux élections nationales, notamment législatives ; une part croissante de nos compatriotes vont jusqu’à remettre en cause le principe même de l’élection… Nul ne peut se satisfaire de l’état actuel des choses et cela nous oblige à nous interroger sur les solutions à mettre en œuvre pour y remédier.

Cette réforme a contribué à atrophier notre démocratie représentative

L’adoption du quinquennat en 2000, et son corollaire, le couplage des élections présidentielle et législatives, contribue à cette situation préoccupante. Car sous l’apparente simplicité d’un progrès institutionnel (remettre en jeu plus fréquemment le mandat du président de la République, tous les 5 ans au lieu de 7 ans auparavant), cette réforme a contribué à atrophier notre démocratie représentative.

Le couple quinquennat-législatives a en effet réduit la capacité des Français à peser sur le cours des choses. D’abord en diminuant la fréquence de remise en jeu des mandats. Avec l’organisation des élections présidentielle et législatives à quelques semaines d’intervalle, les Français votent moins souvent pour élire leurs représentants nationaux. Tous les cinq ans sur la période 2002-2022 contre tous les quatre ans en moyenne sur la période 1981-2002. Surtout, ce couplage a fait des législatives un vote de confirmation des résultats de la présidentielle, privant de fait les électeurs de la possibilité de confirmer ou sanctionner la majorité en place en cours de mandat. Conséquence, les Français sont de plus en plus nombreux à délaisser ce scrutin, faisant de chaque nouvelle Assemblée nationale élue une assemblée affaiblie et plus que jamais sous la coupe de l’exécutif.

Sans ce couplage présidentielle-législatives, les majorités en place depuis 2002 auraient remis en jeu plus fréquemment leur mandat, donnant aux électeurs l’occasion d’avoir davantage voix au chapitre. Il y a donc urgence à redonner de l’oxygène à notre démocratie parlementaire et de mettre fin à cette situation qui mine la relation entre les citoyens, leurs représentants et leurs gouvernants.

Pour autant, le retour au septennat serait une fausse bonne solution. La réduction de la durée du mandat présidentiel, adoptée par référendum, était une bonne chose et fut perçue à juste titre comme une avancée démocratique lors de son adoption en 2000.

Graver dans le marbre de notre Constitution l’organisation d’élections législatives de mi-mandat

Une solution serait de graver dans le marbre de notre Constitution l’organisation d’élections législatives de mi-mandat, assorties d’un droit de dissolution limité, dont le président de la République ne pourrait faire usage qu’une seule fois au cours de son mandat. Si besoin, le nouvel élu pourrait y recourir pour s’assurer d’une majorité à l’Assemblée nationale. Dans cette hypothèse, les députés élus le seraient pour deux ans et demi maximum, permettant ainsi de nouvelles élections législatives à mi-mandat présidentiel.

Ceci permettrait aux électeurs de renouveler – ou pas – tous les deux ans et demi leur confiance à la majorité en place. Et cela aurait le mérite de responsabiliser aussi bien la majorité en place (qui doit délivrer) que les oppositions (qui ne peuvent plus attendre en léthargie la présidentielle suivante en espérant capitaliser sur les échecs de la majorité sortante).
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