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Référendum sur l’environnement
« La Constitution ne peut pas être le jeu de manœuvres politiques. »
Devant la Convention citoyenne pour le climat, Emmanuel Macron avait annoncé sa volonté d'organiser un référendum pour inscrire la lutte pour le climat et la préservation de l'environnement dans la Constitution. Réactions.
France bleu, 15 décembre 2020
Référendum sur le climat : réactions mitigées après l'annonce d'Emmanuel Macron. Lire l'article.
France info, 15 décembre 2020
Le référendum sur l'environnement proposé par Emmanuel Macron, une "manœuvre politique" pour le constitutionnaliste Philippe Derosier.
Le Figaro, 15 décembre 2020
Référendum sur le climat: les écologistes redoutent un «coup politique» du président. Lire l'article.
Public Sénat, 15 décembre 2020
Référendum sur l’environnement, une révision constitutionnelle « improbable » et « inutile ».
Médiapart, 16 décembre 2020
Inscrire l’environnement à l’article 1er de la Constitution: perseverare diabolicum.
L’Opinion, 18 mai 2021
Climat dans la Constitution: pourquoi la Charte de l’environnement suffit. Lire l'article.
Le référendum sur l'environnement proposé par Emmanuel Macron, une "manœuvre politique" pour le constitutionnaliste Philippe Derosier
Le président de la République a annoncé lundi soir un référendum pour "introduire les notions de biodiversité, d'environnement, de lutte contre le réchauffement climatique" dans l'article 1 de la Constitution.
Après trois heures et demie dʼéchanges devant la Convention citoyenne pour le climat, le chef de lʼEtat, Emmanuel Macron, a annoncé lundi un futur référendum pour inscrire la garantie de la préservation de l'environnement et de la biodiversité dans la Constitution, reprenant ainsi un de ses propositions. "On est encore dans la manœuvre politique, c'est une mesure symbolique", a réagi ce mardi sur franceinfo, Jean-Philippe Derosier, constitutionnaliste et professeur de droit public à l'Université de Lille.
Franceinfo : Le Parlement doit valider ce référendum, ce nʼest donc pas gagné ?
Jean-Philippe Derosier : C'est même très loin d'être gagné. La voie pour faire ce référendum, c'est la voie de l'article 89 de la Constitution, parce que c'est un référendum constitutionnel. Et ce référendum constitutionnel suppose au préalable un accord entre l'Assemblée nationale et le Sénat sur un texte identique, avant que le référendum puisse être convoqué et que le peuple se prononce. Or, on est dans un contexte où le Sénat, en particulier, n'est pas véritablement disposé à faire un cadeau au chef de lʼEtat. On entre dans un contexte de campagne d'abord régionale, départementale, mais surtout campagne présidentielle. On sait que le Sénat est politiquement opposé au chef de lʼEtat. S'il s'accordait avec l'Assemblée nationale pour faire cet accord sur le texte, puis ce référendum, ce serait soutenir Emmanuel Macron. Je suis à peu près certain qu'il va trouver une échappatoire pour dire que ce n'est pas le bon moment, qu'il y a d'autres préoccupations à avoir, notamment en termes de relance économique. D'autant plus que ce que le chef de l'Etat propose d'inscrire dans la Constitution existe déjà avec la Charte de l'environnement qui a été intégrée, il y a bientôt quinze ans.
Est-ce que cʼest un pari politique, une façon de mettre la pression sur les élus ?
C'est un pari politique. Cʼest même une manœuvre politique et c'est là où il faut être vigilant parce que la Constitution ne peut pas être le jeu de manœuvres politiques. On peut s'en servir, se servir de la loi pour faire ce type de manœuvre, pour mettre en œuvre la politique que l'on peut conduire. Mais la Constitution, c'est la norme fondamentale commune sur laquelle, justement, il faut sʼaccorder au-delà de clivages partisans. C'est la raison pour laquelle il y a cette procédure qui impose l'accord au Parlement. Alors que là Emmanuel Macron veut l'utiliser pour faire cette manœuvre, pour faire cette pression et mettre le Sénat face à ses responsabilités. Il existe déjà une charte de l'environnement.
Quʼest-ce que ça va changer concrètement, cette nouvelle mention environnementale dans l'article 1er de la Constitution ?
Ce sera une mesure symbolique, on est encore dans la manoeuvre politique. L'article 1er, comme son nom lʼindique, c'est le premier article de la Constitution. Il contient les premiers mots qui vont marquer la Constitution. Cʼest un symbole fort, c'est incontestable, mais ça reste un symbole. La lutte contre le réchauffement climatique, la biodiversité ne figurent pas en tant que tel dans la Charte de l'environnement. Cependant, dedans, on y retrouve deux articles, lʼun concernant le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, et le devoir de prendre part à la protection et à l'amélioration de lʼenvironnement.
Selon une décision du Conseil Constitutionnel rendue jeudi 10 décembre, le législateur ne peut aller contre ces deux articles et ne peut pas prendre des mesures qui ne participeraient pas à cette amélioration de l'environnement. Ce qui veut dire qu'en réalité, la protection et l'amélioration de lʼenvironnement, la lutte contre le réchauffement climatique, figurent déjà dans la Constitution.
Franceinfo, le 15 décembre 2020
Référendum sur l’environnement, une révision constitutionnelle « improbable » et « inutile »
L’annonce d’Emmanuel Macron d’un référendum afin d’introduire la protection de l’environnement dans la Constitution, est loin de conduire à un plébiscite des
professeurs de droit public. En cause, la charte de l’Environnement déjà partie prenante des valeurs fondamentales de la Vème République.
C’est décidé. Emmanuel Macron va soumettre à référendum une révision de la Constitution afin d’y introduire « « La République garantit la préservation de la biodiversité, de l’environnement et lutte contre le dérèglement climatique » dans son article 1. C’était l’une des propositions emblématiques formulées par la Convention citoyenne pour le climat.
« Ce sera une réforme constitutionnelle en un article » a-t-il annoncé en conclusion de sa rencontre avec les 150 citoyens de la Convention climat. Une annonce ou plutôt une confirmation. En juin dernier, le chef de l’Etat s’était déjà engagé en faveur d’une révision constitutionnelle en ce sens. De même, les projets avortés de la révision constitutionnelle en 2018 et 2019, comportaient déjà l’introduction de la préservation de l’environnement.
Mais voilà, une telle révision constitutionnelle, si jamais elle voyait le jour avant la fin du quinquennat, pose plusieurs questions. La première concerne la voie de recours au référendum.
Article 11 : le précédent de 1962
Dans la Constitution deux articles, 11 et 89, autorisent l’exécutif à avoir recours au référendum. L’article 11, le référendum législatif, ne permet pas au président de la République d’y recourir pour réviser la Constitution. Toutefois, en 1962, le général de Gaulle l’avait quand même utilisé pour permettre l’élection du président de la République au suffrage universel direct. A cette époque, « le Conseil constitutionnel s’était déclaré incompétent pour contrôler le décret de convocation des électeurs. Le Président du Sénat, l’avait saisi après la promulgation du résultat du référendum. Le Conseil avait estimé qu’il ne pouvait pas censurer le peuple qui venait de s’exprimer » rappelle le constitutionnaliste, Benjamin Morel.
Difficile d’imaginer pour autant Emmanuel Macron suivre l’exemple du général de Gaulle. Le 24 mars 2005, dans sa décision « Hauchemaille », « Le Conseil constitutionnel a implicitement reconnu sa compétence pour contrôler les décrets de convocation des électeurs. Laurent Fabius, le président du Conseil constitutionnel, a d’ailleurs déjà confirmé en privé qu’il le ferait » souligne Benjamin Morel.
Article 89 : l’obstacle du Sénat
Ce sera donc, fort probablement, par la voie « normale » que le chef de l’Etat va soumettre au peuple son projet de réforme constitutionnelle, via le référendum constituant de l’article 89. Pour ce faire, le texte doit d’abord être adopté par les deux chambres en termesidentiques. Il sera alors difficile pour Emmanuel Macron de surmonter l’obstacle du Sénat, à majorité de droite. « Toute révision constitutionnelle qui aboutit est une victoire du chef de l’Etat. A quelques mois de l’élection présidentielle, je ne vois pas pourquoi le Sénat ferait un tel cadeau à Emmanuel Macron ». C’est un référendum à la fois improbable et inutile » juge Jean-Philippe Derosier, Professeur de Droit public à l’Université de Lille.
La question de l’opportunité juridique de cette révision constitutionnelle semble également tranchée par les constitutionnalistes, parfois pour des raisons diverses. « La protection de l’environnement et de la biodiversité a déjà valeur constitutionnelle. Et le Conseil a déjà jugé que la protection de l’environnement pouvait justifier des limitations à la liberté d’entreprendre. Donc, la révision de l’article 1er est inutile. Juridiquement… » a résumé en un tweet, le professeur de droit constitutionnel à l’université Paris-I, Dominique Rousseau.
Une portée symbolique
Il est fait ici référence à l’intégration de la Charte de l’environnement au bloc de constitutionnalité (principes à valeur constitutionnelle) depuis 2005. « Introduire la
protection de l’environnement dans l’article 1 de la Constitution aurait une portée symbolique forte mais en matière d’environnement, on pourrait dire que le symbolique, ça commence à bien faire. Ce sont plutôt les actes qui manquent. Il me semble aujourd’hui impossible’'d'avoir la certitude que cela aura un quelconque effet » souffle Julien Betaille, maître de conférences en droit public à l’université Toulouse Capitole. Ce spécialiste du droit de l’environnement s’est penché sur les décisions du Conseil, depuis l’introduction en 2010 des questions prioritaires de constitutionnalité. « En matière environnementale, c’est un bilan contrasté, il n’y a pas eu d’avancées significatives sur l’interprétation de la Charte de l’environnement. On peut relever une décision du 8 avril 2011 qui a reconnu l’obligation de vigilance à l’égard des atteintes à l’environnement. Pour moi, le seul élément qui fait défaut au niveau constitutionnel, c’est le principe de non-régression du droit de l’environnement. La récente décision du Conseil sur la loi de dérogation de l’usage des néonicotinoïdes pour la filière de la betterave est une occasion manquée » estime-t-il.
Une décision du Conseil qui « donne plein effet aux articles 1 et 2 de la charte de l’environnement »
Un point de vue tempéré par Jean-Philippe Derosier. C’est d’ailleurs lui qui a rédigé le recours devant le Conseil formulé par les sénateurs des groupes PS, écologiste et communiste à l’issue de l’adoption du projet de loi portant sur la réintroduction provisoire des néonicotinoïdes (voir nos articles ici et ici). La gauche du Sénat avait argué que le texte portait atteinte au principe de non-régression du droit de l’environnement, un principe à valeur législative qui s’impose au pouvoir réglementaire (article L110-1 du code de ’environnement). Pour les requérants, il pouvait aussi être interprété à l’aune de l’article 2 de la charte de l’environnement (toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement) et ainsi avoir valeur constitutionnelle.
Si dans sa décision du 10 décembre, le Conseil a déclaré la loi conforme à la Constitution, et ne reconnaît pas le principe constitutionnel de non-régression en matière environnementale, « il donne plein effet aux articles 1 et 2 de la charte de l’environnement » assure JeanPhilippe Derosier avant d’ajouter : « Le Conseil limite les atteintes à l’article 1 de la charte (le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé) que de façon proportionnée à l’objectif poursuivi et seulement par d’autres exigences constitutionnelles ou par un motif d’intérêt général. Il impose aussi au législateur de prendre en compte le
devoir de préservation et d’amélioration de l’environnement. De ce fait, il reconnaît sans le dire le principe de non-régression » conclut-il.
Autant d’arguments dont pourront s’emparer les sénateurs pour rejeter le projet de révision constitutionnelle.
Par Simon Barbarit
Inscrire l’environnement à l’article 1er de la Constitution: perseverare diabolicum
Pour la quatrième fois en deux ans et demi, le président de la République a fait miroiter l'inscription de l’environnement à l’article 1er de la Constitution, via un référendum. La réitération d’une réforme aussi inutile juridiquement et improbable politiquement ne peut être prise au sérieux.
Un évènement politique improbable s’est produit le lundi 14 décembre 2020 : en ce quinquennat à la fois interminable et finissant, il s’est trouvé, à l’issue de l’intervention du président de la République devant les membres de la Convention citoyenne pour le climat, un nombre considérable de médias écrits ou audiovisuels pour prendre au sérieux l’unique annonce à peine crédible faite par Emmanuel Macron, consistant à insérer, par référendum, une référence à des garanties environnementales à l’article 1er de la Constitution.
C’est pourtant la troisième fois en deux ans et demi que le président de la République prend un tel « engagement » relatif au contenu de l'article 1er du texte de 1958 : il a été formalisé une première fois par le Conseil des ministres dans le projet de loi constitutionnelle du 9 mai 2018 (v. « L’exécutif instrumentalise l’environnement pour faire sa com’ (https://blogs.mediapart.fr/paul-cassia/blog/210618/l-executif-instrumentalise-l-environnement-pour-faire-sa-com) », 22 juin 2018) puis dans le projet de loi constitutionnelle du 29 août 2019 (v.« Environnement : l’exécutif instrumentalise (encore) la Constitution (http://www.mediapart.fr/paul-cassia/blog/020919/environnement-l-executif-instrumehttps://blogs.mediapart.fr/paul-cassia/blog/020919/environnement-l-executif-instrume ), 4 septembre 2019). En cette fin d’année 2020, c’est aussi la seconde fois, après une réunion le 29 juin 2020, que le président de la République annonce devant les membres de la Convention citoyenne pour le climat le choix de la voie référendaire (plutôt que l'ensemble des parlementaires réunis en Congrès) pour modifier le seul article 1er de la Constitution dans le sens d’un ajout des préoccupations environnementales lato sensu, incluant la préservation de la biodiversité et la lutte contre le réchauffement climatique. L’expression « faire du neuf avec du vieux » n’a jamais eu autant de sens en matière politique...
Au fond, il a déjà été dit sur ce blog à quel point et pourquoi la révision constitutionnelle projetée était juridiquement inutile, cosmétique, superfétatoire, quelle que soit la formulation retenue dès lors notamment que l’article 2 de la Charte de l’environnement de 2004 (https://www.conseil-constitutionnel.fr/le-bloc-de-constitutionnalite/charte-de-lenvironnement-de-2004) prévoit que « toute personne a le devoir de prendre part à l’amélioration et à la préservation de l’environnement » (v. également Jean-Philippe Derosier, « Référendum sur l’environnement : une manœuvre politique », La Constitution décodée, 15 décembre 2020 ; Benjamin Morel, « Ajouter par fétichisme l’environnement à l’article 1er n’apporte rien... », Revue politique et parlementaire (https://www.revuepolitique.fr/ajouter-par-fetichisme-lenvironnement-a-larticle-1er-napporte-rien/), 16 décembre 2020) ; qu’elle ait été initiée par une proposition de la Convention citoyenne pour le climat (https://propositions.conventioncitoyennepourleclimat.fr/objectif/modification-de-larticle-1er-de-la-constitution/) ou qu'elle soit insérée par référendum plutôt que par le Parlement réuni en Congrès ne change rien à ce constat. Ce que révèle cettehyper- focalisation médiatique autour de l’éventuelle convocation du peuple français pour qu'il s'exprime fin 2021 sur une vraie-fausse révision constitutionnelle, c’est la vacuité des engagements du président de la République pour tout ce qui concerne les 148 autres propositions de la Convention citoyenne : il la (nous) mène en bateau, et le mirage d’une révision constitutionnelle putative ne saurait masquer l’absence totale de prise en compte concrète et pratique, sur le terrain, des urgences environnementales dans le logiciel périmé de l’ultralibéralisme macroniste (v. Ismaël Bine e. a., « Climat : un référendum pour cacher les renoncements », Mediapart (https://ww w.mediapart.fr/journal/france/151220/climat-unreferendum-pour-cacher-les-renoncements), 15 décembre 2020).
Sur les modalités de cette troisième révision constitutionnelle, qui donc acte en creux l’échec des deux premiers projets de 2018 et 2019, le président de la République a rappelé qu’elle ne pourrait être soumise à un référendum qu’après adoption fin janvier 2021 par le Conseil des ministres d’un projet de loi constitutionnelle comportant un seul article, et surtout après accord, à la virgule près, sur ce nouveau projet de loi constitutionnelle entre l’Assemblée nationale et le Sénat, ainsi que l’exige le 2ème alinéa de l’article 89 de la Constitution (https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019240655/). En l’état des rapports de force politiques, cet accord est improbable, et il est par exemple possible que, afin de procrastiner en faisant semblant d’être constructive, l’une ou l’autre chambre ergote sur le point de savoir s’il est préférable d’inscrire à l’article 1er de la Constitution que la République « agit pour » plutôt que « favorise » l’environnement, dans le but qu’il n’y ait pas de vote en termes identiques, ou encore que l’une ou l’autre chambre ajoute à la seule modification envisagée par le président de la République une proposition supplémentaire malignement bloquante (par exemple, celle déjà suggérée par le sénateur Philippe Bas selon laquelle « nul ne peut se prévaloir de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune »). La « version trois » du projet de révision de l’article 1er de la Constitution est de toute évidence, à l’instar des deux précédentes, à ajouter au Panthéon des non-réformes du quinquennat Macron, dont le nombre est désormais impressionnant – il suffit pour le réaliser de confronter le texte de la conférence de presse du 25 avril 2019 (https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2019/04/25/conference-de-presse-grand-debatnational) clôturant le « Grand débat national » (sic) à leur absence totale de concrétisation, qu’il s’agisse pour s’en tenir au seul terrain des institutions de la facilitation du référendum d’initiative partagée, du renforcement du droit de pétition au niveau local, ou de la transformation du Conseil économique social et environnemental en un Conseil de la participation citoyenne.
Le naufrage institutionnel et politique du quinquennat Macron devient de plus en plus manifeste avec l'écoulement du temps. Que nous réservent les dix-huit mois qui restent ?
Par Paul Cassia